Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Michael Hood, stratégiste Multi-Asset Solutions au sein de l'équipe de gestion de J.P.Morgan Asset Management.
Dans nos portefeuilles multi-actifs, nous avons maintenu notre surpondération sur les actions japonaises tout au long de l’année 2015. A première vue, cette analyse pourrait sembler manquer de cohérence : l’économie de ce pays, sur la base des données publiées la semaine dernière, s’est en effet contractée pendant deux trimestres consécutifs.
Les prévisions du risque de récession jouent un rôle central dans notre analyse de la situation économique des États-Unis ainsi que des autres pays et six mois de recul du PIB auraient probablement détérioré sérieusement notre perception de la plupart des marchés d’actions.
Nous analysons le Japon à travers un prisme quelque peu différent. Du fait de la faiblesse structurelle de son taux de croissance et de la volatilité peu commune de ses statistiques, la publication d’un chiffre de croissance négative du PIB ne devrait pas constituer une surprise, même s’il s’agit de deux trimestres consécutifs.
La faiblesse des chiffres souligne cependant la modestie du potentiel de l’économie à moyen terme. En tant que tels, ils constituent un rappel du fait qu’une surpondération de nos positions en actions japonaises repose nécessairement sur une constellation de facteurs de soutien, incluant notamment la réforme de la gouvernance d’entreprise et les rotations dans l’allocation d’actifs domestique.
Le taux de croissance potentiel du Japon (que l’on peut définir plus simplement comme le rythme d’expansion économique compatible avec une inflation stable dans l’hypothèse où toutes les ressources sont pleinement utilisées) semble se situer bien en dessous de la norme qui prévaut dans les économies développées.
Si celui-ci ne peut être directement mesuré, dans le cas du Japon l’éventail des estimations est étroitement resserré : le gouvernement japonais lui-même ainsi que les observateurs internationaux comme le FMI et l’OCDE estiment le taux de croissance potentiel du pays à environ 0,5 %.
Les acteurs de marché ont compris depuis un certain temps déjà le handicap démographique auquel se heurte le Japon.
Le fait que cette difficulté explique pour une très large part l’écart de croissance potentielle entre le Japon et ses homologues des marchés développés est peut-être moins bien pris en compte.
En effet, la productivité japonaise du travail a évolué dans l’ensemble en ligne (bien qu’un peu moins favorablement) avec celle des autres économies majeures au cours de ces dernières années, son profil étant comparable à celui des évolutions constatées aux États-Unis.
Sans aucun doute, la croissance de la productivité aux États-Unis a elle-même déçu au cours de l’expansion actuelle et ne représente pas nécessairement l’exemple à suivre. Néanmoins, toute amélioration significative de la croissance de la productivité japonaise semble cependant provenir plus probablement d’un catalyseur d’ensemble, tel qu’une rupture technologique favorable, que de réformes structurelles ou d’autres facteurs intérieurs.
Perspectives démographiques et marché de l’emploi
Où en sont les perspectives démographiques japonaises ? Le tableau d’ensemble semble mitigé. Du côté positif, le Japon est entré dans sa transition démographique plus tôt que les autres pays développés et le frein que celle-ci constitue, bien qu’encore important, n’est plus sur une pente ascendante.
La population d’âge mûr a diminué de 1,1 % par an au cours des cinq années antérieures à 2015 ; au cours des cinq années qui viennent, ce recul va évoluer à un taux annuel de 0,8 %, puis de 0,6 % entre 2021 et 2025.
Toutes choses égales par ailleurs, une réduction légèrement moindre de la population en âge de travailler se traduit par une croissance potentielle marginalement meilleure. D’un autre côté, le Japon va probablement éprouver des difficultés à augmenter de façon sensible son taux de participation au marché de l’emploi.
Comparé à celui des États-Unis, le niveau plutôt faible de son taux de participation global, est d’abord le reflet du vieillissement de la population japonaise, les personnes âgées étant moins impliquées dans le marché du travail. Au sein de tranches d’âge particulières, le taux de participation japonais est généralement égal ou supérieur à son équivalent américain.
L’évolution des femmes qui travaillent, d’un emploi à temps partiel vers un emploi à temps plein, pourrait modifier dans des proportions importantes le taux de participation global du pays. Au japon, une part relativement importante des femmes salariées travaillent à temps partiel (34 %) contre 23 % aux États-Unis.
Une évolution du ratio du travail féminin à temps partiel qui tendrait à se rapprocher de celui des États-Unis ferait progresser la main d’oeuvre japonaise de l’équivalent de deux points de pourcentage, soit une stimulation importante, sans être radicale, apportée à la production potentielle de l’économie. De même, toute progression du taux de participation chez les citoyens plus âgés serait la bienvenue, comme cela est arrivé aux États-Unis.
Nous interprétons le recul de 0,8 % du PIB japonais (en variation trimestrielle corrigée des variations saisonnières) au cours du troisième trimestre 2015, seconde baisse consécutive de cette ampleur, à l’aune de cette toile de fond structurelle. Non seulement le taux tendanciel de la croissance économique est à peine positif, mais le PIB enregistré du Japon fluctue davantage que celui de la plupart des économies.
En effet, depuis 2000 l’écart-type de la croissance trimestrielle du PIB a plus que doublé par rapport à son homologue américain. Même au cours de périodes d’expansion robuste, le Japon affichera donc fréquemment des chiffres de PIB négatifs n’impliquant pas nécessairement une récession, c’est à dire une chute importante, généralisée et durable de l’activité économique, cas de figure présentant des implications fortement négatives pour les marchés d’actions.
Taxe sur la consommation, confiance du secteur privé intérieur
Plus généralement cependant, l’économie japonaise a essentiellement stagné depuis le premier semestre 2014. Le début de cette période d’apathie coïncide avec l’augmentation de la taxe sur la consommation. En effet, le niveau du PIB au troisième trimestre est approximativement comparable à celui de l’année précédant la hausse. Les effets de la modification de cette taxe jouent-ils les prolongations ?
Plus probablement, une série de forces sont entrées en jeu, y compris la faiblesse des principaux partenaires commerciaux du Japon dans toute l’Asie émergente. La hausse de la taxe pourrait cependant avoir porté un coup durable à la confiance du secteur privé domestique, objectif prioritaire des Abenomics.
Un examen des équilibres financiers de l’économie par secteur apporte dans une certaine mesure une corroboration de cette hypothèse. Après une tendance haussière entre début 2009 et mi-2013, les équilibres financiers des ménages et des entreprises, essentiellement leurs taux d’épargne, ont commencé à reculer au cours du second semestre de cette année.
Cette évolution expansionniste a contribué à stimuler la croissance au début des Abenomics. Au cours du second semestre de l’an dernier cependant, ces équilibres se sont renversés pour retrouver leurs moyennes de moyen terme. En ce sens, les politiques agressives poursuivies au cours de ces deux dernières années ne semblent pas avoir généré des évolutions significatives dans le comportement du secteur privé.
En prenant comme point de départ un taux de croissance potentielle d’environ 0,5 % et en analysant les divers facteurs à court terme susceptibles d’influer sur l’économie, nous anticipons une croissance d’environ 1 % pour l’an prochain.
La stimulation des exportations japonaises liée à la dépréciation du yen devrait désormais décliner, bien qu’elle reste probablement bénéfique au moins partiellement jusqu’à présent ; le marché de l’emploi semble tendu, du moins si l’on se réfère au faible niveau du taux de chômage, mais les salaires ont progressé de façon hésitante et le revenu salarial global des ménages progresse à un rythme modéré. La croissance du crédit bancaire a progressé mais la confiance du secteur privé, particulièrement chez les ménages, ne suggère pas une explosion des dépenses à court terme.
Implications pour les classes d’actifs
L’économie japonaise n’étant pas susceptible d’offrir une croissance rapide au cours des prochains trimestres, le maintien de la surpondération de notre position repose sur des facteurs davantage propres aux actions.
En effet, les entreprises japonaises peuvent encore prendre des mesures pour augmenter le rendement de leurs fonds propres, même après d’importants efforts de restructuration opérationnelle déjà réalisés. Le rendement des fonds propres des sociétés japonaises a progressé mais reste faible comparativement aux normes des marchés développés, en partie à cause de l’inefficience des bilans (caractérisés par une importante position en actifs financiers).
L’amélioration de la gestion des bilans peut se révéler fructueuse pour les sociétés japonaises même dans un environnement de faible croissance.
En second lieu, nous prévoyons une progression solide de la demande d’actions japonaises provenant en partie de l’accroissement des rachats d’actions (pour utiliser les liquidités figurant aux bilans des entreprises) et en partie des achats des fonds de pension et peut-être de la Banque du Japon qui pourrait augmenter ses achats d’ETF dans le cadre de son programme de stimulation de l’économie.
Nous estimons que ces facteurs vont apporter une certaine diversification au portefeuille, dans la mesure où ils apparaissent pour l’essentiel sans lien avec les forces qui influencent nos autres positions surpondérées en actions, sur les États-Unis et la zone euro.