Cet article fait partie de la série "Perspectives", qui regroupe des contributions externes à Morningstar. Le texte qui suit a été rédigé par Véronique Riches-Flores, Présidente de RF Research, un cabinet d'analyse et de conseil indépendant. Les graphiques n'ont pas été reproduits.
Trajectoires opposées, des effets décuplés
Si deux forces opposées peuvent mutuellement s’annuler en physique, on aurait tort de considérer que tel soit le cas en matière économique, plus particulièrement monétaire. Le fait que la BCE et la FED prennent, au même moment, des chemins inverses, a tout lieu, au contraire, de décupler les effets de leurs initiatives respectives. C’est par le jeu du taux de change que passe l’essentiel des canaux de transmission des distorsions de politiques monétaires. Or, en la matière, le risque de sur réaction dans un sens et dans l’autre, est très significatif.
Envolée du dollar
Dans un monde de taux d’intérêt historiquement bas et souvent négatifs, l’impact de la remontée des taux de la Fed sur le cours du billet vert a tout lieu d’être très significatif, en effet. L’anticipation d’un tel resserrement monétaire a déjà conduit à un relèvement significatif des écarts de taux futurs entre les États-Unis et les principaux pays développés depuis le milieu de l’année dernière, à l’origine d’une remontée d’ores et déjà marquée du billet vert. Selon l’indice ICE, calculé à l’égard des devises des principaux partenaires américains du monde développé - l’euro, le yen, la livre Sterling, le franc suisse, le dollar canadien et la couronne suédoise-, le dollar se serait apprécié de plus de 17 % en moyenne cette année par rapport à l’an dernier.
Or, le plus probable est bien que ce mouvement se poursuive. Non seulement, en effet, parce que la concrétisation d’un passage à l’acte de la Fed a toutes les chances de tirer les taux futurs un peu plus haut qu’aujourd’hui mais parce que l’assouplissement monétaire additionnel de la part de la BCE conduira sans doute à d’autres évolutions similaires au Japon, en Suisse ou en Suède. Les écarts de taux entre les États-Unis et le reste du monde développé sont donc amenés à s’amplifier de manière assez généralisée. Jusqu’où pourrait aller l’appréciation du dollar, dans de telles conditions ?
La parité euro-dollar n’a pas grand sens économique
La réponse à cette question est on ne peut plus incertaine. Si l’évolution des écarts de taux à deux ans offre une direction en matière de taux de changes, sa pertinence est nettement amenuisée par les pratiques de quantitative easing de sorte que l’exercice prévisionnel s’en trouve notablement plus risqué. Alors que la parité est souvent évoquée comme l’objectif le plus probable pour le cours de l’euro-dollar, ce niveau n’a pas de pertinence économique particulière et ne correspond pas, non plus, à une référence historique susceptible de jouer un rôle de catalyseur. En l’occurrence, la configuration graphique offre peu de résistance autour de la parité, suggérant de facto que l’euro puisse être attiré vers ses précédents points bas, soit un niveau nettement inférieur à celui de un pour un, en deçà de 0,9 $ !
Une telle perspective est à double tranchant. À première vue, une bonne nouvelle pour la zone euro, les développements de l’année 2015 nous ont montré que les liens de cause à effets entre les évolutions de change et leur impact économique pouvaient être nettement plus distendus que généralement admis. Si la zone euro peut supporter une éventuelle chute de l’euro sans grand tracas, tout au moins tant que la BCE se porte garante de ses marchés souverains…, le reste du monde risque d’être, en effet, sévèrement fragilisé par une telle évolution, au point peut-être de réduire à néant l’avantage qu’en retirera in fine la zone euro. Il n’est pas besoin d’envisager une chute de l’euro sous la parité pour comprendre que bien des économies partenaires, plus ou moins lointaines, pourraient significativement souffrir d’une faiblesse persistante de la devise européenne.
Effets boule de neige européens
En Europe, en premier lieu, où les économies hors zone euro, quelles qu’elles soient, sont particulièrement exposées aux risques susceptibles de résulter d’un décrochage supplémentaire de la monnaie unique.
La Banque d’Angleterre, dont les marchés attendaient un mouvement de resserrement monétaire au premier semestre 2016, aura ainsi vraisemblablement du mal à prendre cette décision malgré sa justification domestique ; la bulle immobilière qui sévit à Londres et le redressement de l’inflation sous-jacente. La Banque Nationale Suisse, qui pratique des taux d’intérêt déjà largement négatifs (-0,75% pour le Libor à 3mois), risque, de son côté, de devoir aller plus loin encore malgré des conditions monétaires déjà exceptionnelles.
Les émergents d’Asie pris en étau
En Asie, ensuite, dont on a vu à quel point l’appréciation de l’euro contre leur devise fragilisait leur situation conjoncturelle. À l’image de ce qui a été observé au premier trimestre de l’année dernière, l’initiative de la BCE risque fort d’ouvrir la porte à une nouvelle vague de répliques des banques centrales asiatiques dont la plupart tentent toujours de lutter contre des situations de déflation latente ou avérée. La BOJ qui a clairement affiché ses intentions ne tardera vraisemblablement pas à revenir à la charge après la BCE et la Fed, avec pour unique ambition de faire redécrocher le yen dont la dépréciation récente à l’égard du dollar n’est pas suffisante pour maintenir le niveau des marges des entreprises dans un environnement de changes, par ailleurs, hostile.
Pris en étau entre la hausse du dollar, synonyme pour de nombreux pays de renchérissement de leur dette, et la chute de l’euro, synonyme de perte de compétitivité, les pays émergents d’Asie risquent pour la plupart de se trouver dans une situation particulièrement critique dans les prochains mois. On peut, à ce titre, douter de la capacité de la Chine à repousser très longtemps l’inévitable, à savoir, une véritable dépréciation de sa devise dont le niveau extravagant empêche toute interruption de son déclin économique.
L’économie américaine vraiment prête ?
Aux États-Unis, enfin, dont on peut légitimement douter de la capacité de résistance de la croissance à la multiplication des chocs :
- déboires industriels issus de l’appréciation du taux de change,
- choc pétrolier…,
-… et bientôt hausse des taux d’intérêt, l’ensemble sur fond d’absence de croissance,
de la productivité, de l’investissement et de la production industrielle.
C’est, on le comprend, avec une appréhension certaine que l’on aborde les semaines à venir, avec dès jeudi prochain prochaine l’ouverture du bal par la BCE qui, selon toute vraisemblance devrait être suivie d’une nouvelle vague de turbulences monétaires à travers le monde dont on peine à voir comment elle pourrait faire, in fine, de quelconques bénéficiaires.