Les marchés commencent à envisager le pire

Le scénario d’une récession et la chute des actifs risqués commencent déjà à être joués par les investisseurs.

Jocelyn Jovène 25.01.2016
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En dépit d’une première semaine de rebond des actifs risqués depuis le début de l’année, le mouvement de correction des marchés financiers engagé depuis la fin de 2015 n’est sans doute pas terminé. Les investisseurs se positionnent d’ores et déjà pour une poursuite de la baisse dans les semaines et mois à venir.

Certains brokers se montrent très prudents, comme Bank of America Merrill Lynch qui recommande à ses clients de vendre les actifs risqués sur le mouvement de rebond des marchés.

Les stratégistes d’UBS restent dubitatifs quant au risque de récession, mais notent que les investisseurs sont déjà en train de se préparer au pire : les rendements obligataires les plus sûrs (Bund, bons du Trésor) reculent. Les valeurs cycliques « pricent » déjà un risque de récession, retrouvant les niveaux de décote par rapport aux valeurs défensives pas vus depuis début 2009 ou mi-2011.

Les valeurs de qualité sont toujours privilégiées au détriment de la « value » avec un écart de performance de 20 points de pourcentage. La décote de valorisation des titres « value » retrouve les plus bas de 2003.

L’écart de valorisation entre les marchés américain et européen se creuse de nouveau (graphique), alors que les anticipations de rentabilité des fonds propres ont été revues à la baisse dans des proportions similaires depuis le début de l’année. « Si l’on regarde un critère de valorisation comme le cours sur actif net (Price to Book Value), la prime des Etats-Unis atteint près de 60%. Si l’on équi-pondère les secteurs, cela montre en termes relatifs que la valorisation est coincée dans une ornière récessive », observe UBS.

SXXP vs SP 500 PBV 12 M fwd
 

Source : Factset, Morningstar

Récemment, les économistes de Capital Economics estimaient que les marchés intégraient sans doute un scénario récessif à l’excès.

Mais les indicateurs de risque, tels que ceux établis par la société Riskelia, montrent qu’en dépit du rebond récent, « la liquidité demeure tendue » : les CDS (instruments de couverture contre un risque de défaut) sur le secteur bancaire se sont récemment écartés, tandis que la plupart des marchés actions sont dans une spirale baissière, tout comme les matières premières, et les spreads de crédit se tendent eux aussi à des niveaux proches de ceux d’une récession.

Doit-on envisager le pire ? C’est ce que semblent faire certains gestionnaires comme Carmignac Gestion. Mais à ce stade, les indicateurs de stress financier, tels que ceux calculés par la Réserve fédérale de St Louis, sont encore loin des plus hauts (il faut noter que ces indicateurs sont surtout rétrospectifs).

Les flux de capitaux sont eux un indicateur plus pertinent des choix d’allocation des investisseurs et la préférence à court terme semble clairement aller aux actifs monétaires, au détriment des actions et des obligations.

Même si les actions européennes présentent actuellement une décote de valorisation et qu’elles restent surpondérées dans les allocations, l’incertitude qui règne actuellement sur les marchés devrait conduire à une certaine prudence dans les prochaines semaines.

Les trois facteurs de risque identifiés en début d’année – remontée des taux et récession américaine, dévaluation du yuan et ralentissement chinois et poursuite de la correction des matières premières – sont toujours présents dans l’esprit des investisseurs.

Un retournement brutal du sentiment du marché est toujours possible, mais chercher à le prévoir semble futile (certains indicateurs de risque incitent déjà à revenir vers les actifs, mais pas tous). Dans cet environnement « risk-off », il semble que la balle soit une fois encore dans le camp des banques centrales.

Mais ces dernières sont sans doute prises au piège de leur propre politique, après avoir passé des années à accoutumer les marchés financiers à l’abondance de liquidités bon marché dès qu’une source de « stress » émergeait. La correction à venir sera peut-être l’occasion de commencer à indiquer aux investisseurs qu’il est sans doute temps de rémunérer de manière plus convenable la prise de risque, bref que la quête de rendement a un prix.

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.