Pays émergents : les fondamentaux se détériorent-ils ?

Les indicateurs envoient des signaux divergents selon les pays. La Chine semble toujours en bonne forme, d’autres pays (Turquie, Afrique du Sud, Russie) sont beaucoup plus incertains.

Jocelyn Jovène 27.06.2018
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Pour appréhender l’état des pays émergents, le meilleur point de départ consiste à regarder les grands indicateurs macro-économiques et à évaluer les risques

Croissance économique

La croissance économique des pays émergents est ressortie à 3,8% au cours du premier trimestre 2018 contre 2,3% dans les pays développés, en grande partie grâce à la bonne santé de l’économie chinoise.

Pour les économistes d’UBS, avec le ralentissement de la Chine, la poursuite de la croissance des pays émergents dépendra de la solidité du cycle économique des pays développés. Pour l’instant, ce dernier est plutôt ferme, avec toutefois des points d’interrogation sur la reprise en Europe ou sur l’impact des tensions commerciales entre les Etats-Unis et le reste du monde.

Inflation

Jsuqu’à présent,l’inflation dans les pays émergents est demeurée modérée, à 2,6% en mai, avec 15 des 22 pays émergents suivis par UBS affichant une baisse du rythme d’inflation depuis le début de l’année, et ce en dépit de la dépréciation de nombreux devises émergentes et les pressions venues de la remontée du cours des matières premières, pétrole en tête.

Toutefois, UBS avertit que la situation pourrait se détériorer dans les trimestres à venir, avec une remontée progressive des prix alimentaires, une hausse plus soutenue des prix de l’énergie et le risque d’une poursuite d’une faiblesse des devises émergentes.

Monnaie et crédit

La création monétaire à travers la distribution de crédit a longtemps été un élément central de la croissance économique dans de nombreux pays, Chine en tête. Toutefois, un certain calme semble être venu la croissance de la masse monétaire (M2) se situant aujourd’hui autour de 10% contre environ 15% en 2011. La Chine connaît ainsi une accalmie (10% contre 13,4% de rythme annuel fin 2016).

Dans une étude, UBS estime qu’avec un possible ralentissement en Europe, les tensions commerciales, une détérioration des volumes et des prix du commerce international et un agenda politique chargé (Turquie, Mexique, Brésil), la croissance du crédit pourrait être affectée à plus court terme.

Commerce extérieur

A 13,3% sur un an à fin avril, la croissance des exportations est particulièrement dynamique, en grande partie grâce à la Chine (+17%). Mais ces rythmes se situent à des niveaux historiquement élevés et bénéficient en partie de l’impact du dollar (en devises locale, la croissance des exportations est plus proche de 8,9% selon certaines estimations).

En outre, cette dynamique masse un effet prix plutôt qu’un effet volume. Selon UBS, ce dernier est plutôt orienté à la baisse et concentré sur l’Asie, qui est la base manufacturière du monde émergent. Or une moindre dynamique des volumes exportés correspond à une moindre dynamique des importations. Cette situation pourrait s’aggraver si les tensions commerciales entre les Etats-Unis et ses principaux partenaires commerciaux venaient à se détériorer davantage.

Du point de vue de la balance courante, Singapour, Taiwan, la Malaisie, la Russie et la Corée du Sud affichent une situation plutôt confortable (même si en retrait par rapport au passé pour Singapour et la Russie).

En revanche, la situation est inquiétante en Turquie, aux Philippines, en Inde, pays qui accusent un déficit courant compris entre 10% et 5% du PIB.

Taux de change et taux d’intérêt

Depuis le début de l’année, les devises émergentes ont perdu 6,4% en moyenne face au dollar. Le gros de la contre-performance s’est produit à partir d’avril, lorsque le rendement à 10 ans des bons du Trésor passé temporairement la barre des 3%. Sans surprise, les pays à fort déficit extérieur (Argentine, Turquie) ont vu leur devise souffrir.

Pour UBS, les devises émergentes restent un gros maillon faible pour la classe d’actifs. Et cette situation pourrait bien durer. L’une des raisons est la détérioration du « carry », c’est-à-dire le moindre intérêt d’emprunter dans une devise offrant un rendement faible (yen, euro par exemple) pour investir dans une devise à rendement élevé.

Avec la normalisation de la politique monétaire américaine et la remontée des taux longs, ce type d’arbitrage peut s’avérer moins rentable, en particulier si les marchés entrent de nouveau dans une phase de volatilité accrue.

La récente remontée des rendements obligataires (+99 points de base contre +50 points de base pour le 10 ans américain) n’a pas empêché la classe d’actifs de subir de plein fouet la chute des devises.

L’écartement du spread entre le monde émergent et les bons du Trésor signifie que la classe d’actifs est potentiellement plus attrayante, mais les investisseurs doivent aussi intégrer le risque de change et déterminer s’ils doivent privilégier une exposition en devise dure (dollar) ou en devise locale.

Une fois la phase de volatilité provoquée par les récents remous politiques et l’impact de la politique de la Fed intégré par les marchés, l’attention pourrait de nouveau se porter sur le spread des rendements réels et conduire à un certain regain d’intérêt pour la dette émergente. Toutefois, tant que les devises émergentes donneront des signes de faiblesse, les investisseurs risquent de se montrer prudents à l’égard de la classe d’actifs.

 

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est le rédacteur en chef de Morningstar France.