Peu après la faillite de Lehman Brothers, qui a accéléré une crise financière ayant début environ un an plus tôt avec les pertes liées aux « subprimes », personne ou presque n’osait imaginer que le monde connaîtrait une évolution aussi disparate entre le rythme de la reprise économique mondiale, particulièrement mou, et la dynamique des marchés financiers.
Depuis 2008, les marchés obligataires ont bénéficié de la chute des rendements provoquée par les achats massifs de titres par les banques centrales des pays développés (« Quantitative Easing »). Cette même action des banques centrales a provoqué une hausse des cours de Bourse sur les marchés actions, contribuant à la plus longue phase de hausse de la Bourse américaine au cours des cent dernières années.
Cette appréciation des marchés financiers n’a pas été sans accoups. La crise de la dette en zone euro, les incertitudes sur la vigueur de la croissance économique aux Etats-Unis, en Chine, le « taper tantrum » de 2013…
Si l’on devait décrire cette phase de reprise, on pourrait la caractériser par 3 vagues : la première a touché les Etats-Unis (2007-2008), la deuxième l’Europe (2011-2012), la troisième le monde émergent (2014-2016).
Mais même en dépit de ces phases de volatilité, accompagnées parfois de corrections boursières, les investisseurs qui ont eu le cran d’investir en ont tiré de beaux résultats.
Depuis 2012, le S&P 500 a doublé avec un rendement annualisé total de 14%, l’indice Stoxx Europe 600 a progressé de 9%, le Japon de 11%. Seuls les marchés émergents ont fait du sur place, en dépit d’une année 2017 spectaculaire que 2018 s’est empressé de faire oublier.
Source : Yardeni Research, octobre 2018
Si l’on devait planter le décor pour un investisseur qui souhaite construire une allocation de long terme, voici quelques faits que l’on pourrait mettre en avant :
1. La reprise économique post-crise financière de 2008 (GFC) a été l’une des plus molles observées, y compris aux Etats-Unis.
2. En dépit de cette reprise, les taux directeurs de la plupart des banques centrales sont très bas. Aux Etats-Unis, les Fed Funds sont actuellement de 2,25% (près de 0 en termes réels).
3. Les banques centrales ont tout juste commencé à réduire la taille de leur bilan. Mais la Fed, la BCE et la Banque du Japon détiennent toujours 14.400 milliards de dollars d’actifs, leur bilan représentant respectivement 21%, 40% et 97% du PIB de leur pays ou zone.
4. La chute des rendements obligataires a été massive avant de s’inverser (durablement ?) à partir de l’été 2016. Il demeure qu’une masse toujours importante d’émissions obligataires offrent un rendement négatif.
5. La faiblesse des coûts de financement des entreprises a conduit, aux Etats-Unis en particulier, à des politiques de rachats d’actions. Depuis 2008, les entreprises américaines ont racheté 4.500 milliards de dollars de leurs propres actions, soit environ 18% de la capitalisation boursière actuelle du S&P 500.
6. Malgré 9 années de reprise économique et un taux de chômage qui est tombé à des niveaux historiquement bas, les Etats-Unis maintiennent une politique budgétaire très accommodante, sans toutefois traiter du problème des inégalités de revenus et de richesse.
7. La croissance des profits des entreprises américaines a été soutenue, mais a surtout bénéficié de la contribution du secteur de la technologie. En Europe et au Japon, les profits n’ont guère progressé. A l’échelle mondiale, cependant, hors impact de la technologie, les profits viennent tout juste de retrouver leur niveau de 2007.
Pourquoi cette phase de reprise est-elle si inhabituelle ?
Le cadre d’analyse construit par l’économiste Richard Koo est instructif. D’après lui, si la reprise de l’économie réelle a été si molle, en dépit des injections de liquidités et de la faiblesse du coût de l’argent, c’est parce que les agents économiques ont pendant plusieurs années fait des efforts pour assainir leur bilan et se désendetter. Koo appelle cette situation une « récession par le bilan ».
Sans l’intervention de l’Etat à travers des dépenses d’infrastructures, dans l’éducation ou dans l’innovation, les agents économiques n’ont pas la possibilité de profiter du faible coût de l’argent pour chercher des opportunités d’investissement rentables. L’Etat doit donc temporairement se substituer à eux, le temps que ces derniers aient rétabli une situation financière plus saine.
Ceci expliquerait pourquoi les injections de liquidité des banques centrales ont été si peu efficaces. Mais cette situation a provoqué des distorsions sur les marchés financiers qui rendent particulièrement compliquée la tâche des investisseurs.