La progression des indices boursiers depuis le point bas de mars 2020 a amené la valorisation des marchés actions à des niveaux élevés.
Le P/E à 12 mois de l’indice S&P 500 atteint 22x, contre une moyenne de 16,6x (depuis fin 1999).
L’optimisme est de retour en Bourse.
Après avoir atteint un point bas de 13,6x en mars dernier, le marché américain a opéré un rebond spectaculaire, grâce à la performance impressionnante de secteurs (technologie et santé en tête) qui profitent des mutations provoquées par la pandémie de coronavirus au niveau de l’organisation des entreprises (télétravail) et des consommateurs (commerce électronique, divertissements à la maison…).
Ces niveaux élevés de valorisation seraient justifiés par plusieurs éléments : la faiblesse des taux d’intérêt tout d’abord. La valeur présente d’une action est liée aux flux de trésorerie futurs actualisés au coût du capital, lequel repose sur le taux sans risque.
Le repli de ce dernier conduit logiquement à une appréciation de la valeur estimée, justifiant une hausse des cours.
La perspective d’un rebond des résultats ensuite. Fin mars, le consensus tablait pour l’indice S&P 500 sur un bénéfice par action à 12 mois de 160 dollars par action environ.
Cette estimation a continué de baisser jusqu’à la mi-mai (autour de 140 dollars par action), les analystes intégrant la perspective d’une récession économique majeure.
Depuis, les anticipations de résultats à 12 mois se sont fortement redressées, pour atteindre 174 dollars par action début février.
Ce rebond de 24% des estimations de résultats depuis les points bas de mai 2020 reflète l’espoir d’une reprise rapide de l’économie et des profits, confirmée par les publications de résultats du troisième trimestre 2020, puis du quatrième trimestre (on est en pleine saison de publications, mais pour l’instant les annonces supérieures au consensus sont très majoritaires).
L’annonce fin 2020 de la distribution de vaccins en 2021 offre un élément de soutien important à cette prévision.
Bien évidemment, les annonces d’injection massives de liquidités par les banques centrales (Fed, BCE) et les plans de relance gouvernementaux ont rassuré les investisseurs que quoi qu’il arrive, des mesures seraient prises pour battre la pandémie et retrouver une situation économique, sanitaire et sociale normale dès que possible.
Mais cela s’est aussi traduit par des formes d’exubérance qui trahissent une moindre attention des investisseurs au prix payé pour ce qu’ils mettent dans leur portefeuille.
L’attaque coordonnée via les réseaux sociaux d’investisseurs particuliers dans le seul but de mettre à genou des hedge funds qui pariaient sur la déconfiture d’entreprises mises en difficultés par la crise sanitifaire (GameStop, AMC) en est un bel exemple.
D’autres illustrations du retour des « esprits animaux » en Bourse, typiques de la formation de bulles financières, sont apparues tout au long du second semestre 2020 (explosion des volumes de trading sur options, envolée des cours de Bourse, multiplication des opérations à travers des véhicules d’investissement spéculatifs ou SPACs).
Bien qu’ignorée par de nombreux investisseurs (souvent néophytes), la question des valorisations demeure centrale à la réussite d’un investissement boursier.
Dans leur dernière lettre aux investisseurs, les gérants de Greenlight Capital, estiment que la cherté relative des marchés actions s’explique par la présence d’investisseurs devenus indifférents aux valorisations (« valuation-indifferent investors »).
Ces investisseurs sont classés en trois groupes : « will not », « cannot » et « choose not to » (« ne veut pas », « ne peut pas » et « choisit de ne pas y faire attention »).
Les investisseurs « will not » sont représentés par les fonds passifs qui sont obligés d’acheter une action, même si elle est surévaluée, lorsque celle-ci est intégrée dans l’indice qu’ils répliquent (le plus bel exemple récemment a été l’intégration de Tesla au sein du S&P 500).
Le deuxième groupe d’investisseurs (« cannot ») rassemble principalement des particuliers qui n’ont « ni la formation ni la compétence » en matière de valorisation. Jusqu’à présent, ces investisseurs s’appuyaient sur des conseillers financiers.
Mais dernièrement, les plus jeunes générations accèdent à la Bourse sans intermédiaire, téléchargent une application et spéculent.
Ces services les incitent d’ailleurs d’autant plus à spéculer et à faire tourner leur portefeuille (source de commissions), plutôt qu’à investir dans des entreprises pour faire fructifier leur épargne (ce qui va à l’encontre du modèle économique même des courtiers en ligne).
Le groupe des « choose not to » comprend lui des investisseurs professionnels qui n’intègrent pas le critère de valorisation dans leur processus d’investissement.
« Ce groupe d’investisseur estime qu’il est contreproductif d’envisager que la capitalisation boursière dépasse massivement le scénario le plus optimiste en matière de projection de résultats. Cela va plus loin qu’acheter de la croissance à un prix raisonnable ou même de la croissance à n’importe quel prix », écrit Einhorn.
Cette logique de détenir le plus longtemps possible un titre quel qu’en soit le prix est entretenue par de nombreux brokers professionnels qui modifient les hypothèses de base de leur modèle pour relever leurs objectifs de cours.
Quel est le risque ? Acheter un titre à un prix donné parce que son cours a beaucoup progressé ou parce que l’on aime bien son activité (sans davantage d’investigation), en ignorant la valorisation, expose à un risque de perte en capital.
C’est ainsi que se forment les bulles et c’est grâce à une activité parfois frénétique de certains investisseurs néophytes, attirés par la hausse des cours et dépourvus d’éducation financière de base, que d’autres investisseurs gagnent de l’argent.
Ceux qui perdent, parfois beaucoup, sont toujours ceux qui sont arrivés les derniers à ce qu’ils prennaient pour un « jeu » sans en connaître les règles.