Facebook doit affronter une nouvelle crise majeure, qui dépasse un simple problème de réputation ou de mauvaise gestion de ses infrastructures.
Les dernières révélations sur la manière dont le réseau social cherche ne cherche pas systématiquement à privilégier l’intérêt de ses utilisateurs à son propre profit.
Ce débat ne concerne d’ailleurs pas que le Facebook, mais les autres « géants » de l’Internet - Google (Alphabaet), Amazon et Apple, connus sous l’acronyme « GAFA ».
Effet réseau et pouvoir de marché
Même si nos analystes ne pensent pas que cela bouleverse profondément leur modèle économique, ces entreprises technologiques ont accès et manipulent des quantités de données considérables sur leurs utilisateurs, parfois à leur insu et dans une opacité qu’aucun régulateur n’a réussi jusqu’ici à percer.
L’accès à ces données leur confèrent un pouvoir de marché et leur permet de dominer leur industrie en éliminant toute concurrence émergente. Au final, elles en extraient une rentabilité du capital élevée.
En Chine, où les pouvoirs publics ont une manière bien plus brutale de traiter les problèmes, la question s’est traduite par une mise à l’amende des géants de l’Internet (Alibaba et Tencent en tête) et des pressions très fortes sur leur capacité à capter des données – l’ambition du gouvernement chinois étant d’être le destinataire de ces données plutôt que le secteur privé.
En Occident, où l’Etat de droit prévaut et où ces entreprises opèrent un lobbying intense, c’est à une évolution de la doctrine de la concurrence que l’on pourrait assister.
Le cas Amazon
Aux Etats-Unis, les prémices de ces changements ont été tracés par Lina M. Khan, juriste aujourd’hui à la tête de la puissante Federal Trade Commission (FTC).
Dans un article publié en 2017 dans le Yale Law Journal, elle revenait sur l’histoire de la doctrine en matière de concurrence et les évolutions nécessaires du droit de la concurrence pour mieux appréhender le pouvoir des GAFA, en prenant notamment l’exemple d’Amazon.
Face au pouvoir croissant d’un nombre restreint d’entreprises dans de plus en plus de domaines d’activité, la doctrine de la concurrence ne devrait plus seulement se focaliser sur l’intérêt du consommateur, mais sur l’existence d’un pouvoir de marché, qui se traduirait par des pratiques prédatrices empêchant l’innovation ou l’émergence de concurrents potentiels.
« Nous devrions remplacer le bien-être du consommateur (« consumer welfare ») avec une approche visant à préserver un processus concurrentiel et la structure du marché », écrit Khan.
Pourquoi une telle nécessité ? Tout simplement parce que dans la stratégie de conquête de son marché, Amazon a fait pendant longtemps le choix de sacrifier les profits aux gains de parts de marché, devenant de facto incontournable (toujours le moins cher), une approche qui lui a permis de tuer toute concurrence dans l’œuf.
Diapers.com
L’auteur prend ainsi l’exemple de Diapers.com, un site concurrent dans la vente en ligne de produits de beauté et de soins pour les bébés, qu’Amazon a volontairement empêché de se développer en cassant ses prix de vente et en proposant des services attrayants aux consommateurs avec un service d’abonnement avantageux.
Lorsque Diapers.com a jeté l’éponge et s’est laissé racheter par Amazon, ce dernier a rapidement arrêté sa politique tarifaire agressive ainsi que ses offres promotionnelles ou d’abonnement pour remonter ses prix.
Cette pratique a pris une nouvelle tournure lorsqu’Amazon a ouvert sa plate-forme à tous types de vendeurs, lui permettant de capter des quantités de données gigantesques sur d’éventuels produits concurrents et d’adapter ses politiques tarifaires à celles de vendeurs qui utilisaient sa plate-forme.
Par la suite, Amazon a commencé à proposer ses propres produits (« Amazon Basics ») entrant directement en concurrence avec les vendeurs qui utilisaient sa plate-forme.
Intégration verticale et horizontale
L’extension de l’empire Amazon ne s’arrête pas là, puisque le groupe a progressivement investi dans sa propre logistique. De plus gros clients de groupes de messagerie comme Fedex ou UPS, Amazon est progressivement devenu un concurrence potentiel.
La thèse de Khan est que l’accès à ces quantités de données a donc permis à un acteur de non seulement mettre en place des pratiques de prix prédatrices pour limiter toute concurrence, mais également de contrôler un nombre croissant de domaines d’activité, grâce à la capacité de capter des données sur ses utilisateurs (consommateurs, vendeurs, prestataires tiers) et de proposer des solutions concurrentes.
Cette stratégie visant à proposer d’abord un service à un coût modique n’était au final que le prélude permettant par la suite à Amazon de dégager des profits considérables. Une stratégie que la Bourse a d’ailleurs plébiscité avec un cours de Bourse qui a bondi et fait du titre du commerçant l’une des plus grosses capitalisations boursières au monde.
Les données, actif clef
Ceci montre que les données sont devenues un actif déterminant dans la stratégie des GAFA.
La nécessité de réguler ce que Khan appelle un service public (« public utility »), c’est-à-dire un service dont l’utilisation est publique ou pour lequel le public à un intérêt d’usage, ce dernier prend une dimension de bien public et doit donc faire l’objet d’une régulation.
C’est vrai de l’eau, de l’électricité ou des télécommunications. Cela devrait également l’être du traitement des données.
Appliquant cette doctrine à Amazon, elle note : « étant donnée qu’Amazon est devenu une infrastructure essentielle à travers l’économie de l’Internet, appliquer des éléments de régulation publique à son activité vaut le mérite d’être pris en considération. »
Ces questions ont conduit certains gérants de portefeuille à revoir leur approche et la manière dont ils sélectionnent les valeurs technologiques.
Ainsi, Gilles Sitbon, gérant du fonds Sycomore Sustainable Tech lancé il y a un an, et Marie Valleys, analyste ESG, sont à la recherche d’entreprises qui promeuvent une technologie responsable.
A savoir, non seulement l’impact de leur modèle économique sur l’environnement, le social, mais également la manière dont ces entreprises gèrent et mitigent les risques potentiels (comme les phénomènes d’addiction dans le cas des réseaux sociaux ou la protection des données).
En s’appuyant sur une recherche interne et les données d’associations comme Ranking Digital Rights, le portefeuille est constitué à partir d’une sélection d’une centaine de sociétés cotées (sur un univers de départ de plus de 1.300 valeurs).
En dehors de Microsoft, les « GAFA » ne font aujourd’hui pas partie de la sélection du gérant.