Au moment où de grands conglomérats industriels comme General Electric (« Narrow Moat ») annoncent leur intention de séparer en activités indépendantes, le groupe Bouygues (« No Moat ») renforce son profil multi-métiers (construction, route, télécommunications, médias, immobilier).
Il déploie son capital pour renforcer son pôle construction, autour des services multi-techniques, avec le rachat de la société Equans auprès de l’énergéticien Engie (« No Moat »).
Sanction boursière
Lorsque Bouygues a émergé comme le vainqueur du processus d’enchères, son cours de Bourse a plongé. Il y a plusieurs raisons à cela.
Tout d’abord, l’opération est assez chèrement payée et a conduit l’analyste de Morningstar, Javier Correonero, à abaisser son estimation de juste valeur de Bouygues à 35 euros par action. Bouygues débourse 7,1 milliards d’euros alors que le marché tablait sur une transaction autour de 5-6 milliards d’euros.
Ensuite, la taille de la transaction a fait craindre des difficultés d’intégration. Il s’agit de la plus grosse acquisition dans l’histoire du groupe. Même si les ratios d’endettement de Bouygues restent raisonnables après la transaction, la bonne intégration d’Equans constitue à la fois un enjeu social, opérationnel et financier majeur pour le groupe diversifié.
Enfin, le marché disposait de très peu d’informations sur Equans et les dirigeants de Bouygues ne les ont pas beaucoup aidé pour mieux cerner les effets de cette acquisition.
Intérêt stratégique
Cette opération est « structurante », c’est-à-dire qu’elle devrait modifier de manière significative le profil financier du nouvel ensemble.
En justifiant l’opération, le directeur général du groupe, Olivier Roussat, déclarait récemment à propos des services multi-techniques : « C’est un marché encore très fragmenté, avec un fort potentiel de croissance. (…) A la différence de certains métiers du BTP, c’est un marché moins concurrencé par l’émergence de rivaux chinois », qui assure de surcroît une forte récurrence du chiffre d’affaires.
En revanche, les marges y sont plutôt faibles et le groupe, qui n’a pas souhaité donné d’informations sur la profitabilité d’Equans (certains analystes évoquent un chiffre de 3%), annonce viser 5% de marge opérationnelle à moyen terme pour cette activité.
Les éléments sur cette transaction communiqués au marché sur l’opération ont été plutôt limitées, en dehors des synergies, chiffrées entre 120 et 200 millions d’euros par an.
Le principal impact sera le changement d’échelle, puisque l’activité de Bouygues représente environ 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, tandis qu’Equans lui apporte 12 milliards. L’activité des services multi-techniques deviendra ainsi le premier métier du groupe.
Un groupe diversifié
La diversité des métiers, une bonne rentabilité du capital, un faible niveau d’endettement et un actionnariat solide (lequel s’appuie sur la holding familiale et les salariés du groupe) sont les principales caractéristiques de l’entreprise et sont au fondement de sa stratégie : répondre à certains des besoins de base des ménages et des entreprises (se loger, se déplacer, communiquer), tels que décrit dans son rapport annuel.
Le bond dans les services que permet Equans peut-il modifier le profil boursier de Bouygues ? Jusqu’ici, c’était plutôt l’activité Télécoms qui était considérée comme l’un des métiers phares du groupe, ne serait-ce que par la forte rentabilité de ce métier, même si Bouygues Telecoms évolue dans un marché domestique très concurrentiel.
La constitution d’un pôle élargi au profil financier un peu moins volatil (contrairement au cycle de la construction plus sensible à l’état général de l’économie) devrait rassurer les investisseurs.
Si l’on regarde au cours des dix dernières années (et en faisant abstraction de l’année 2020 marquée par la pandémie de COVID-19), la rentabilité du capital de Bouygues n’a cessé de reculer.
Equans demeure un « gros morceau » à avaler. Son impact sur la rentabilité du groupe sera long à mesurer (la transaction ne sera finalisée qu’en fin d’année prochaine).
Face à des incertitudes somme toute significatives, on peut comprendre la prudence des investisseurs dans un environnement économique dominé par un ralentissement de la croissance économque et par un retour de l’inflation.