PARIS (Agefi-Dow Jones)--C'est un hameau dans l'Ouest de l'Allemagne qui est devenu le symbole du combat écologiste contre le réchauffement climatique.
Lützerath va être rasé par l'énergéticien RWE pour y étendre sa mine de charbon à ciel ouvert - la plus vaste d'Europe - Garzweiler.
Très polluante, la production d'électricité via lignite, un charbon très jeune exploité sur ce site, émet près d'une tonne de dioxyde de carbone (CO2) équivalent par mégawattheure (MWh).
L'attention se cristallise désormais sur les acteurs de la finance qui soutiennent RWE.
Des activistes ont ainsi déversé jeudi 250 kilogrammes de charbon devant la banque suisse Pictet.
Les banques françaises sont loin d'être en reste.
D'après l'ONG Urgewald, spécialiste des entreprises charbonnières à l'origine de la base de données "Global Coal Exit List" qui concerne les entreprises actives dans le charbon thermique, BNP Paribas et Société Générale ont accordé 800 millions d'euros de financement à l'électricien entre 2019 et 2021, soit 7% des fonds reçus par la multinationale sur la période.
Contactées par L'Agefi, les banques n'ont pas souhaité commenter ces chiffres ni le cas de RWE.
L'extension du site de Garsweiler est justifiée par RWE par les besoins causés par la crise du gaz russe.
Elle est aussi le résultat d'un accord avec le gouvernement allemand, signé en octobre 2022, qui autorise le projet en contrepartie de la sortie du charbon par RWE en 2030, contre 2038 auparavant.
Les failles des politiques d'exclusion
L'exploitation de nouvelles capacités de production pratiquée par RWE semble aller à contre-courant de l'engagement climatique des banques françaises, qui ont adopté des politiques claires en matière de sortie du charbon.
BNP Paribas et Société Générale "ont adopté un seuil d'exclusion de 10 millions de tonnes (Mt) de production de charbon thermique par an, largement dépassé par RWE qui en a produit 52 Mt en 2021 et 63 Mt en 2022, mais cette exclusion ne s'applique qu'au niveau des filiales de RWE détenant ou opérant directement les mines de charbon, et non au niveau du groupe, ce qui est une faille importante de ces politiques", explique l'ONG Reclaim.
Le diable se cache, en effet, dans les détails. En 2020, BNP Paribas avait annoncé "mettre fin, à brève échéance, aux relations avec tout client développant de nouvelles capacités de production à base de charbon".
De même, Société Générale indiquait dès juillet 2020 "ne plus fournir de produits et services, à l'exception de ceux exclusivement dédiés à la transition énergétique, aux entreprises qui développent de nouveaux projets de mines, centrales ou infrastructures liées au charbon thermique".
Or, l'extension du site de Garzweiler par RWE ne peut techniquement être considérée comme une expansion de capacité.
Il s'agit "d'un élargissement physique de la fosse minière actuelle. Mais la zone concernée fait partie du domaine minier depuis le premier agrément de Garzweiler en 1987, aucune approbation supplémentaire n'est donc nécessaire", reconnaît Urgewald.
Le charbon représente aujourd'hui un tiers de la production d'électricité de RWE et 22% de son chiffre d'affaires.
Mais l'entreprise est, par ailleurs, investie dans le développement des énergies renouvelables et prévoit de sortir du charbon en 2030.
Une trajectoire qui est compatible avec l'engagement pris par les banques françaises.
BNP Paribas et Société Générale se sont engagées à ne plus financer d'entreprises liées au charbon à horizon 2030 dans les pays de l'Union européenne et de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
BNP Paribas rappelle à L'Agefi que le groupe "a cessé de financer, dès 2020, les compagnies d'électricité qui n'avaient pas de plan de sortie complète du charbon aligné avec ses engagements.
Cela l'a conduit à exclure près de la moitié de ses clients du secteur de la production d'électricité".
De son côté, Société Générale rappelle qu'elle ne finance plus depuis 2016 "de projets dédiés" à l'exploitation du charbon. Autrement dit, elle ne finance pas le projet d'extension minière controversé de RWE.
De grands gérants au capital de RWE
Parmi les principaux actionnaires de RWE, on retrouve BlackRock, GIC, Pictet AM, Vanguard, DWS mais aussi les français Amundi, Natixis et Carmignac.
Peu d'investisseurs français apportent des réponses précises sur RWE.
"Cela révèle notamment la faiblesse des plans des acteurs financiers car la plupart n'ont pas adopté tous les critères d'exclusion de la Global Coal Exit List, qui sont eux-mêmes insuffisants pour garantir une politique robuste de sortie du secteur", estime Reclaim Finance.
Amundi n'était exposé qu'à hauteur de 0,09% dans le charbon à fin 2021, fait valoir la société de gestion.
Tout comme Crédit Agricole, elle s'engage à sortir totalement du charbon d'ici à 2030 en Europe et dans l'OCDE, ce qui est aligné avec la stratégie de RWE. Amundi privilégie le dialogue mais n'avait pas hésité à critiquer la stratégie de sortie tardive du charbon de l'énergéticien lors de l'assemblée générale en 2020. Reste que la politique d'Amundi prévoit d'exclure les entreprises qui développent des projets reposant sur cette énergie fossile...
Mais "on ne la voit pas lever le petit doigt quand une entreprise rase inutilement au bulldozer un village à 200 kilomètres de la frontière française", condamne Reclaim Finance.
Axa fait le choix de l'exclusion
Certains investisseurs ont, au contraire, fait le choix de l'exclusion pure et simple.
Le fonds souverain norvégien a ainsi sorti RWE de son portefeuille en 2019.
Axa a fait savoir qu'il arrêterait d'assurer RWE tout comme les autres entreprises présentes dans le charbon.
L'énergéticien allemand fait partie de la liste d'exclusion de son portefeuille actions et crédits.
L'assureur mène également un engagement actionnarial auprès des émetteurs qui échappent à ses critères d'exclusion, en "exigeant de solides plans de transition prévoyant des objectifs de réduction des émissions de carbone fondés sur la science, notamment à court et moyen terme, y compris des mesures visant à fermer les centrales à charbon d'ici 2030 au sein de l'OCDE et d'ici 2040 dans le reste du monde".
-Aurélie Abadie et Thibault Vadjoux, L'Agefi ed: VLV
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