Un moment Lehman ou Bear Sterns ?

La chute de cette banque d’affaires en mars 2008, six mois avant Lehman, avait marqué un tournant important dans l’émergence d’une crise financière majeure.

Jocelyn Jovène 15.03.2023
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Crédit photo: AP

En l’espace de quelques jours, les marchés actions à travers le monde sont passés d’un relatif optimisme sur la fin prochaine du resserrement monétaire des banques centrales (Fed, BCE, Bank of England) aux craintes de profondes difficultés au sein du système financier.

Cette fois-ci l’épicentre du séisme est venu de Californie, où la Silicon Valley Bank (SVB) s’est retrouvée confrontrée à une perte de confiance de ses clients, provoquant une crise de liquidités dont l’onde de choc a ébranlé d’autres banques « régionales » américaines ainsi que l’ensemble du secteur bancaire à travers le monde.

La raison : la SVB était au cœur du financement de nombreuses start-ups, dans les technologies médicales, l’agriculture du futur et… les crypto-monnaires.

Au cours d’un week-end, trois banques ont fait naufrage.

Le risque de contagion était sur toute les lèvres et l’inquiétude des investisseurs était de revivre un événement de type « cygne noir » (un événement aux conséquences désastreuses qui se produit très rarement), telle la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers, qui fut en ce 15 septembre 2008 le moment paroxysmique de l’une des plus importantes crises financières de l’histoire et qui entraîna l’économie mondiale dans une récession sévère.

Pour établir dans de bonnes conditions des parallèles entre des épisodes et des contextes très différents, il est important de faire la part des choses entre ce qui est ressemblant et ce qui est dissemblant.

Pour Anne Walsh, directrice des investissements chez Guggenheim Partners, « un thème récurrent qui traverse les crises du secteur financier est la désintermédiation des sources de financement. La désintermédiation renvoie au procédé où des relations de financement existantes qui existaient avec des intermédiaires, comme les banques, sont cassées. »

L’événement avec lequel cette professionnelle dresse un parallèle n’est pas la faillite de Lehman, mais celle de Bear Sterns (un point partagé par nos experts).

En mars 2008, cette banque d’affaires américaine s’était retrouvée en difficulté car elle ne parvenait plus à rassurer sur la qualité de son portefeuille d’actifs mis en « garantie » pour trouver des financements courts auprès d’autres banques.

Cette situation obligea la Réserve fédérale à procéder à une vente express à JPMorgan, démontrant alors l’opportunisme de son charismatique patron, Jamie Dimon (baptisé le « banquier de dernier recours » par le Wall Street Journal).

« A ce moment, la crise fut évitée, mais ce ne fut que temporaire car des situations similaires émergeront en septembre 2008 avec Lehman Brothers, Fannie Mae et Freddie Mac », note Walsh.

De nombreux commentateurs ont souligné la différence entre 2008 et 2023 : en quinze ans, les bilans des banques se sont très sensiblement renforcés.

En Europe, les pratiques des banques en matière de gestion de leur bilan et des liquidités sont également bien différentes, comme l’explique notre analyste Johann Scholtz.

Cette crise, dont les ramifications sont encore difficiles à tirer, montre plusieurs choses.

Tout d’abord, ses causes.

Cette crise bancaire résulte d’un comportement défaillant du côté des investisseurs et des dirigeants de la SVB qui, emportés par leur avidité, ont failli en matière de contrôle de risques.

Le régulateur, sous l’influence du politique et des lobbys, est également en cause. Il a, durant la présidence Trump, allégé les contraintes réglementaires sur les banques considérées comme « non-systémiques », comme l’a récemment rappelé Elisabeth Warren, sénatrice démocrate en pointe dans la lutte contre la déréglementation du secteur bancaire.

Ensuite, les effets de second tour que l’on peut attendre de ce type d’événements, dans un contexte où l’environnement du marchés des taux, donc le coût de financement et l’appréciation des risques d’un investissement, a profondément changé.

Nous avions souligné récemment les risques que de nombreux investisseurs étaient prêts à prendre pour participer au rebond des marchés actions, tout en remarquant les messages contradictoires tant de la Fed que du marché des taux.

La chute très rapide du rendement à 2 ans américain et la repentification de la courbe en début de semaine a relancé le débat sur l’attitude de la Fed la semaine prochaine – mais elle montre aussi un regain d’inquiétude et la recherche de valeurs refuge de premier ordre (le « cash » avant tout) dans un contexte qui est jugé plus incertain qu’il ne l’était il y a seulement quelques semaines.

« Le possible élément systémique à propos de SVB est la transformation dramatique de la courbe des taux au cours de l’année écoulée, qui affecte virtuellement toute institution financière, tout agent économique ayant recours à l’endettement, tout portefeuille obligataire », observe Walsh.

La crise actuelle ressemble plus à un événement de type « Bear Sterns » que « Lehman », car en intervenant très rapidement, les autorités ont montré leur volonté de rétablir la confiance des épargnants et de rassurer sur la solidité du système financier ainsi que la force de leur résolution.

Mais les investisseurs rationnels devraient en toute logique considérer qu’il est temps de réévaluer les risques dans leurs portefeuilles.

En particulier s’assurer de la qualité des actifs qu’ils détiennent, de leur capacité à continuer de générer une rentabilité et une liquidité suffisante dans l’éventualité où l’environnement économique et financier deviendrait beaucoup plus difficile qu’il ne l’est aujourd’hui.

 

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Valeurs citées dans l'article

NomValeurVariation (%)Notation Morningstar
First Republic Bank0,01 USD11,11
JPMorgan Chase & Co237,60 USD1,99Rating
Signature Bank1,25 USD0,00
SVB Financial Group  

A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.