« CoCos » : de quoi parle-t-on ?

La reprise de Credit Suisse par UBS soulève des interrogations sur une catégorie particulière de titres financiers, les obligations « CoCo » ou « AT1 ».

Jocelyn Jovène 20.03.2023
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Credit Photo: AP

Qu’est-ce qu’une obligation « CoCo » ?

Un « CoCo » (pour « Contingent Convertibles ») est un titre financier à mi-chemin entre une action et une obligation.

Il est émis par une banque pour renforcer ses fonds propres et répondre aux exigences prudentielles fixées par les autorités bancaires en matière de solvabilité afin d’éviter tout risque de faillite.

En cas de difficulté, un CoCo sert à absorber des pertes éventuelles sur la base de termes définis dans sa documentation.

Il s’agit en outre d’une obligation avec des caractéristiques similaires aux obligations convertibles, qui peut être transformée en actions lorsque le prix de l’obligation atteint un certain seuil.

Qui détient des CoCos ?

Les détenteurs de CoCos sont des investisseurs particuliers et des banques privées, attirés par ces produits parce qu’ils offrent généralement un rendement élevé, mais avec un niveau de risque supérieur.

Ces instruments sont surtout répandus en Europe, mais pas aux Etats-Unis où les banques préfèrent émettre des actions préférentielles.

L’autre intérêt de ces instruments est qu’il s’agit d’obligations : elles ont un accès prioritaire au capital d’une entreprise en cas de liquidation et sont considérées comme « seniors » (prioritaires) par rapport aux actions.

En théorie, en cas de défaut, les pertes sont supportées en premier lieur par les détenteurs d’actions, puis par les détenteurs d’obligations (ceux-ci ayant généralement une capacité de récupérer une partie de leur investissement).

L’activation de ce mécanisme de conversion dépend du type de déclencheur retenu et du mécanisme d’absorption des pertes – tous deux indiqués dans la documentation de chaque obligation.

Les origines

Apparu à la fin des années 2000, les CoCos ont été vus comme une solution pratique pour permettre aux banques de lever des capitaux et satisfaire aux exigences réglementaires sans avoir recours à l’aide publique.

Les investisseurs rechignent généralement à apporter du capital aux institutions financières en période de stress financier.

Dans les scénarios extrêmes, comme en 2008, ce sont les pouvoirs publics qui peuvent être amenés à injecter des capitaux dans les institutions financières pour éviter leur effondrement et des conséquences néfastes pour les économies.

Pour éviter de mutualiser des risques d’ordre privé, les instruments financiers de type « CoCos » sont une solution.

Conception

Les CoCos ont pour objectif principal d’être une source de financement pour les institutions financières en période de crise.

Comme l’indiquent Stefan Avdjiev, Anastasia Kartasheva et Bilyana Bogdanova dans un article publié par la Banque des règlements internationaux (BRI) en septembre 2013, leurs caractéristiques principales sont 1) l’absorption automatique des pertes avant que l’institution devienne insolvable ; 2) le niveau d’absorption des pertes dépend du degré de capitalisation de l’institution émettrice ; 3) leur fonctionnement doit éviter tout risque de manipulation.

Déclenchement

Le mécanisme de déclenchement des CoCos est une caractéristique centrale de ces instruments financiers.

Un CoCo peut avoir un ou plusieurs catalyseurs (« trigger »), qui s’appuient sur des règles mécaniques ou à la discréation des régulateurs.

Par exemple, le mécanisme d’absorption des pertes peut être activé si le capital d’une banque émettrice tombe en-deçà d’un certain pourcentage de ses actifs pondérés du risque (« Risk-Weighted Assets »), ou d’une autre mesure du capital comme l’actif net ou la capitalisation boursière.

Absorption des pertes

La deuxième caractéristique centrale des CoCos est le mécanisme d’absorption des pertes, qui peut prendre deux formes : la conversion en actions ou la dépréciation du nominal de l’obligation (« Principal writedown »).

La converion de la dette en actions peut être basée sur le cours de l’action de la banque émettrice ou un prix spécifique, ou encore une combinaison de ces deux éléments.

Selon que l’on s’appuie sur le prix du marché ou sur un prix déterminé à l’avance, le risque de dilution pour les actionnaires existant n’est pas le même (plus élevé pour un prix non défini à l’avance).

L’autre approche consiste en une dépréciation de la valeur du nominal de l’obligation, qui peut être partielle ou totale.

Le risque pour l’institution émettrice est que si une part de la perte de valeur est compensée par du numéraire, celle-ci devra puiser dans ses ressources pour payer les détenteurs de CoCos.

Pourquoi l’opération UBS/Credit Suisse est-elle inédite ?

Dans le cadre du sauvetage de Credit Suisse par UBS, les autorités suisses ont prévu que les détenteurs de CoCos (encore appelé capital AT1) perdraient leur argent…

Credit Suisse avait 13 CoCos en circulation pour une valeur de 17 milliards de dollars émis en dollars US, francs suisses, et dollars de Singapour, selon le Washington Post.

A la différence d’autres restructurations classiques, les détenteurs de CoCos ont vu la valeur de leur titres réduite à zéro, tandis que les actionnaires ont la possibilité de convertir leurs actions Credit Suisse en actions UBS, ce qui leur offre une porte de sortie honorable, même si le coût est astronomique compte tenu de la parité de conversion.

L’ordre « normal » des choses veut que ce soient toujours les actionnaires d’une entreprise qui soient les premiers à supporter les pertes, avant les détenteurs d’obligations.

Pour Eoin Walsh, associé de Twenty-Four Asset Management, « le régulateur suisse a mis à la poubelle les règles de l’investissement dans une entreprise. Les actions est la plus subordonnée des catégories d’instrument financier, néanmoins, les actionnaires de Credit Suisse sont sauvés par UBS (avec le soutien du gouvernement helvétique) quand les détenteurs d’obligations AT1 voient leur participation réduite à néant. »

« Nous nous demandons quelles seront les conséquences à long terme pour le système financier suisse, car l’action de la FINMA risque d’entamer la confiance des investisseurs dans le régulateur », ajoute-t-il.

Des poursuites en action collective seront prochainement intentées contre Credit Suisse.

Ces procédures, comme celle intentées pour des raisons similaires au Portugal au début des années 2010, risque de durer de nombreuses années.

 

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Valeurs citées dans l'article

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.