PARIS (Agefi-Dow Jones)--La transmission de la politique monétaire de la Réserve fédérale (Fed) est en bonne voie et la banque centrale peut paradoxalement en remercier la déroute de Silicon Valley Bank.
Les tensions dans le secteur bancaire américain vont en effet accélérer la baisse de la production de crédits, le principal canal à travers lequel les taux refroidissent l'économie.
Des turbulences de marché, même temporaires, ont un impact sur la production de crédit des banques, en les poussant à préférer des actifs liquides aux prêts plus risqués.
Le basculement est lié à une baisse de l'appétit pour le risque, mais est aussi destiné à prévenir toute perte de confiance des déposants et des marchés en affichant un bilan solide. Les banques peuvent aussi s'attendre à un durcissement des régulations bancaires et à une remontée des ratios de capitaux exigés.
Les banques américaines avaient déjà commencé à s'adapter aux taux plus élevés. Selon le dernier point de conjoncture de la Fed sur le crédit, publié début février, la majorité des banques voient les conditions d'accès au crédit se durcir, pour les ménages comme pour les entreprises.
En parallèle, la demande de prêts diminue d'autant, sur l'ensemble des segments.
Pour les prêts commerciaux et industriels, 45% des groupes interrogés constatent un durcissement des conditions d'octroi de prêt, contre 69% pour les prêts liés à l'immobilier commercial et 28% sur le crédit à la consommation.
Côté demande, 85% des groupes constatent un moindre appétit pour les prêts hypothécaires, une situation constatée par 62% des banques pour les prêts d'immobilier commercial et 31% pour les prêts commerciaux et industriels.
Le risque est désormais que le renchérissement des conditions de financement bancaires déclenché par SVB ne provoque un arrêt de la production de crédit ("credit crunch" ou crise du crédit), qui mettrait l'économie américaine à l'arrêt.
Les petites banques américaines (moins de 250 milliards de dollars d'actifs, ce qui n'inclut ni SVB ni First Republic, elle aussi en difficulté) ont subi des fuites de dépôts de 120 milliards de dollars lors de la semaine du 8 au 15 mars, selon les dernières données disponibles.
Mais elles n'ont pas vendu de titres, leur stock global étant stable.
A l'inverse, les emprunts, surtout auprès de la Fed, ont beaucoup progressé, de 252 milliards de dollars, faisant augmenter les réserves de liquidité de 97 milliards de dollars. Les grandes banques, qui ont pourtant enregistré 67 milliards de dollars d'entrées sur leurs dépôts, ont adopté un comportement similaire, augmentant leurs liquidités de 300 milliards de dollars.
Montée de l'aversion au risque
« Le système bancaire tout entier est aujourd'hui la victime du choc de taux de 2022 et c'est une étape importante de la transmission de la politique monétaire », rappelle Florian Ielpo, responsable de la recherche macro chez Lombard Odier AM.
« Avec cette montée d'aversion au risque dans les marchés, l'aversion au risque des banques elles-mêmes va progresser et leur offre de crédit à l'économie va reculer », indique l'expert.
La diffusion de cette contraction du crédit à l'économie et son ampleur sont désormais les principales inconnues.
« La baisse de la production de crédit n'a pas encore eu d'effet important sur l'activité américaine, car plusieurs phénomènes permettent de l'amortir », remarque Olivier Raingeard, directeur des investissements de Neuflize OBC.
Le stock d'épargne des ménages s'est normalisé, à 919 milliards de dollars, contre une moyenne de 1.145 milliards de dollars entre début 2015 et fin 2019, mais est reparti en hausse depuis le point bas atteint en juin 2022, où il avait chuté à 506 milliards de dollars.
Par ailleurs, l'essentiel des prêts aux ménages sont à taux fixes, contrairement aux périodes de durcissement monétaire précédentes, ce qui limite l'impact de la remontée des taux.
Les entreprises ont également profité des conditions de financement accommodantes pour lever de l'argent frais, diminuant leurs besoins de refinancement pour 2023.
« Le risque est bien sûr que ces amortisseurs brouillent la lecture des conditions économiques. Une fois estompé, le durcissement des conditions de crédit initié par les banques centrales pourrait s'avérer trop fort et générer une récession aux Etats-Unis », poursuit l'économiste.
Un impact perceptible en trois à six mois
De fait, le flou est d'abord temporel. La transmission d'une baisse de l'offre de crédit sera d'autant plus difficile à lire que l'économie américaine est déjà en ralentissement et que la collecte de données sur les prêts est faite avec retard.
« Il faut, historiquement, de trois à six mois avant qu'une baisse importante de la production de crédit ait un impact sur l'économie (contre un retard de neuf à 12 mois pour la transmission d'une hausse de taux à l'économie, ndlr). Le risque est que, dans cet intervalle, la Fed remonte de nouveau ses taux et durcisse excessivement les conditions financières », remarque Nicolas Forest, responsable de la gestion obligataire chez Candriam.
L'autre incertitude concerne l'ampleur du choc. Malgré les amortisseurs en place, plusieurs secteurs seront affectés par la baisse de la production de crédit.
« L'ensemble des actifs qui ne sont pas valorisés sur les marchés et ayant des besoins de refinancement importants sont à risque », résume Nicolas Forest.
L'immobilier, résidentiel et commercial, ou le capital-investissement, par exemple, sont donc concernés.
Signe des incertitudes, le chiffrage de la réduction de crédit est flou.
Le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, a déclaré qu'il équivaudrait à une hausse de taux, voire davantage, impliquant que la banque centrale atteindrait son taux terminal dès mai.
Les marchés sont bien plus agressifs, estimant que la Fed devrait baisser ses taux de 119 points de base (pb) entre sa réunion de mai et celle de janvier 2024. UBS estime que l'impact équivaudra à 87 pb, tandis que Barclays l'estime entre 25 et 50 pb.
La relation n'est toutefois pas linéaire, et conditionnée à l'évolution de la situation dans le secteur bancaire. Sans tensions excessives, les banques diminueraient progressivement leur production de crédit, mais de nouvelles turbulences mèneraient à un arrêt immédiat.
« Les tensions sur le secteur bancaire durcissent les conditions de financement. Par rapport à une hausse de taux toutefois, l'impact est instantané et d'autant plus brutal qu'il sera imprévisible », souligne François Rimeu, stratégiste senior chez La Française AM.
Pour le moment, la Fed semble confiante dans sa capacité à calmer les turbulences de marché, en montant les taux et en adoptant une approche attentiste face à une inflation tenace.
« Dès le moment où l'impact de la politique monétaire de la Fed aura un impact sur l'économie, Jerome Powell sera confronté à des pressions politiques importantes pour baisser ses taux », nuance François Rimeu. De quoi provoquer une nouvelle bascule de la posture de la banque centrale.
-Corentin Chappron, L'Agefi ed: VLV
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