PARIS (Agefi-Dow Jones)--C'est la fin d'une parenthèse enchantée pour le « private equity ». L'inflation, la guerre en Ukraine et le resserrement monétaire brutal de la Réserve fédérale (Fed) américaine et de la Banque centrale européenne (BCE) font entrer le capital investissement dans une nouvelle ère.
L'argent coûte plus cher, les processus de vente des entreprises en portefeuille se complexifient, et les institutionnels se montrent plus sélectifs.
Réunis à Paris la semaine dernière pour le premier Forum Private Equity France organisé par L'Agefi et PE Magazine, gérants (general partners, GP) et investisseurs (limited partners, LP) ont tenté de se projeter sur les prochains trimestres.
De gros LBO plus rares et plus chers à financer
Sur les grandes transactions, les rachats à effet de levier (« leveraged buy out » ou LBO) à plus d'un milliard d'euros ont pris un coup de froid après l'été 2022. Les banques, dont les bilans étaient chargés de prêts en attente de syndication, ont tout arrêté. En France, quelques beaux dossiers - Trescal, April, A2mac1 - ont réussi à sortir en fin d'année, souvent avec l'appui des fonds de dette. Après quelques mois d'attentisme, le marché du gros LBO et des infrastructures repart. Les processus de vente d'Akuo Energy, Premium ou encore Idemia viennent d'être lancés.
Mais la dette est plus rare.
« Il y a quelques opérations en cours, avec des sujets de financement centraux sur chacune d'elles. Les étapes de financement sont lancées très en amont, avant même le lancement effectif du dossier », explique Benjamin Dupuy, associé chez BC Partners.
Pour Idemia, le spécialiste de la biométrie, Goldman Sachs, conseil à la vente, arrange aussi un financement avec l'appui de fonds de dette. « Les acteurs se sont habitués au 'new normal'. Sur des actifs qu'elles connaissent, avec des thèses d'investissement claires, les banques restent disponibles », assure Richard Norton, responsable du private equity en France pour Goldman Sachs Asset Management. « Les fonds de dette, eux, deviennent une composante importante du financement », précise-t-il.
Les tarifs ont changé : une dette unitranche coûte 700 points de base (pb) au-dessus du taux de référence, contre 450 pb il y a un an, soit environ 10% au lieu de 4,5%, rappelle Benjamin Dupuy.
Le renchérissement de la dette « a un impact de 3 points sur le taux de rendement interne en moyenne », souligne l'associé de BC Partners.
Le small et midcap résiste
« En France, on a moins ralenti sur le capital investissement au deuxième semestre que dans le reste du monde, car le financement ne s'est pas arrêté pour les PME », se félicite Claire Chabrier, présidente de France Invest.
« C'est même une année record en nombre de projets. »
Si les tickets supérieurs à 100 millions d'euros ont baissé sur un an en nombre (37 contre 47) et en montant (8,5 milliards contre 11,3 milliards d'euros), les tickets inférieurs à 15 millions d'euros ont augmenté.
Un constat partagé par Nextstage, qui a signé dix sorties en 2022 et déjà trois transactions en 2023.
« Nous mettons très peu de levier dans nos opérations, donc nous sommes moins touchés, et nous avons la chance d'avoir des PME qui restent accompagnées par les banques », explique Jean-David Haas, associé et directeur général de la société.
« Beaucoup de sociétés arrivent à des niveaux de maturité intéressants pour des fonds 'growth' ou 'capdev', et ont besoin de capitaux pour répondre aux défis de la société, notamment celui de la transition énergétique », appuie Youssef Belatar, directeur chez Mirova.
Des process d'achat et de vente revisités
Deux transactions ont marqué les esprits fin mars.
La holding GBL, qui avait racheté Webhelp fin 2019, a apporté le spécialiste des centres d'appels à son concurrent américain Concentrix en réalisant 1,8 fois sa mise initiale.
Les fonds Archimed et Warburg Pincus ont réalisé une très bonne affaire en cédant la biotech Polyplus à Sartorius Stedim pour 2,4 milliards d'euros.
Deux sorties de portefeuille réalisées auprès d'industriels, lesquels ont l'avantage sur les fonds de pouvoir valoriser des synergies et de moins recourir au levier financier.
La revente à des acteurs « stratégiques », selon l'expression consacrée, redevient donc une piste privilégiée alors que les fonds auront plus de mal à enchaîner les LBO sur une même société.
Dès l'investissement dans une société, « il faut avoir une conviction très forte sur l'optionalité de la sortie et l'existence d'acheteurs industriels. Quand bien même il n'y en aurait pas, il faudra réfléchir à comment cet actif-là peut être transformé si le bon acheteur à terme est un industriel qu'on a identifié au départ », explique Benjamin Dupuy.
Pour Richard Norton, le changement de paradigme implique plus de sélectivité à l'entrée dans les dossiers et « des transactions plus complexes avec des acteurs complémentaires dans le tour de table ayant chacun une brique à apporter dans la création de valeur ».
Les participations devraient rester plus longtemps en portefeuille, le temps pour les équipes de management et les actionnaires de travailler à leur transformation.
Des institutionnels plus frileux
Les levées de fonds diminuent dans le monde, ou sont décalées. En France, entre le premier et le deuxième semestre 2022, la chute atteint 50%, selon France Invest. Dans les portefeuilles des institutionnels, « l'effet dénominateur » joue : il a fait remonter mécaniquement la part du private equity dans les portefeuilles en raison de la chute des actifs cotés, et limite donc l'appétit immédiat pour la classe d'actifs.
« L'effet est visible, mais nous sommes relativement loin de notre borne haute, ce qui nous laisse les marges de manœuvre nécessaires pour piloter nos allocations », relativise Arezki Sehad, gérant à la Maif.
La valeur des portefeuilles souffre, notamment dans des segments comme le capital innovation. Les ajustements demeurent limités lorsqu'on les compare aux actions cotées et à l'obligataire.
« A fin 2022, on observe des baisses de valeur liquidative de l'ordre d'une dizaine de pourcents sur le capital investissement », précise Arezki Sehad. « Sur le capital croissance, les entreprises ont réussi à amortir le choc de valorisation grâce à l'effet croissance. »
La situation crée en revanche des opportunités sur le marché secondaire, où les institutionnels s'échangent des parts de portefeuilles.
« On a vu des propositions de rachat très agressives, de l'ordre de 50 centimes par dollar. Y a-t-il eu des deals réalisés à ces conditions-là ? Non, d'où mon analyse : si le marché se cherche, il n'est pas en crise comme en 2008 », estime Riccardo Stucchi, responsable de Russell Investments France.
Les millésimes de fonds investis lors des retournements de cycle sont même meilleurs pour le private equity.
D'autres types d'investisseurs prennent aussi le relais, comme les particuliers.
« Le private equity va continuer à devenir de plus en plus important dans le portefeuille des family offices », pronostique pour sa part Frederick Crot, président de l'Association française du family office.
-Alexandre Garabedian, L'Agefi ed: VLV
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