La rémunération des dirigeants deviendra un outil de la transition climatique

En ces temps de tensions populaires, d'incertitudes économiques et d'inflation, les rémunérations des dirigeants restent plus que jamais un sujet très sensible lors des assemblées générales des sociétés françaises.  

Agefi/Dow Jones 09.05.2023
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Crédit photo: AP

PARIS (Agefi-Dow Jones)--En ces temps de tensions populaires, d'incertitudes économiques et d'inflation, les rémunérations des dirigeants restent plus que jamais un sujet très sensible lors des assemblées générales des sociétés françaises. La salve d'assemblées attendues cette semaine (Solvay mardi, Casino, Technip, Thales mercredi, Arkema, Edenred, Klépierre, Renault, Unibail - URW - jeudi, et Michelin vendredi pour les plus importantes) pourrait donner l'occasion de contestations.

Pour le marché, une résolution adoptée à moins de 80% des voix est contestée et nécessite que le conseil revoie sa copie. Or, de tels exemples de distance actionnariale se sont multipliés ces dernières semaines. Notamment, les rémunérations du PDG et du directeur général délégué de Teleperformance n'ont réuni que 74,6% et 76,8% des voix. Celle du président de Vivendi, Yannick Bolloré, n'a été approuvée qu'à 64,8% et sa politique de rémunération à 66,6%, les actionnaires poursuivant leur contestation, ces résolutions ayant obtenu respectivement 62,7% et 65,2% de soutien en 2022.

De même, les rémunérations du directeur général et de l'un des directeurs généraux délégués de Bouygues n'ont engrangé que 78,3% de soutien, et la rémunération du PDG de Kering, François-Henri Pinault, seulement 77,4%. La contestation des minoritaires est en réalité beaucoup plus forte pour ces trois derniers groupes, compte tenu du poids de la famille de contrôle.

Après deux années de modération, voire de baisse en raison de la crise sanitaire, les "packages" de rémunération sont repartis à la hausse. "Si ces augmentations en valeur absolue sont souvent justifiées, sont-elles pour autant acceptables pour le conseil, pour l'assemblée générale et pour les salariés ?" s'interroge Jean de Calbiac, avocat, associé fondateur du cabinet Avanty. Les attentes actuelles des investisseurs se concentrent sur deux thématiques : le partage de la valeur et la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).

Un partage de la valeur à affiner

Le partage de la valeur créée au cours de l'exercice peut prendre plusieurs formes. La "prime Macron" constitue un mécanisme simple à mettre en œuvre pour donner du cash aux salariés, explique Jean de Calbiac. Mais l'entreprise peut être plus ambitieuse en permettant à ses salariés de se constituer un portefeuille de valeurs mobilières - qui prend tout son sens dans un contexte inflationniste - grâce au versement d'une participation et/ou d'un intéressement dans un fonds commun de placement d'entreprise (FCPE).

"Redonnons tout leur sens à ces mécanismes, notamment dans les ETI et les PME, encore réticentes, par manque de compréhension ou par peur du coût de mise en œuvre de 30.000 à 40.000 euros", constate Jean de Calbiac. "Beaucoup de petites entreprises appréhendent d'ouvrir leur capital pour intéresser leurs cadres. Pourtant, l'actionnariat salarié et l'attribution d'actions gratuites constituent une bonne alternative aux 'management packages', désormais d'arrière-garde depuis la censure du Conseil d'Etat de 2021", ajoute-t-il. Cela nécessite toutefois d'organiser la liquidité des titres.

Les critères RSE modulent aussi la rémunération à la baisse

L'intégration de la RSE dans la rémunération nécessite une analyse fine si on veut éviter le "greenwashing". "D'une part, les critères doivent être en adéquation avec le plan climat de l'entreprise, et ne sont donc pas toujours pertinents sur le variable annuel", rappelle Jean de Calbiac. "D'autre part, la RSE est un indicateur de performance comme un autre et doit permettre de moduler la rémunération à la hausse comme à la baisse. En cas de scandale sur l'environnement, un bonus lié à des critères climat ne peut être versé", souligne-t-il.

Comment alors inciter les dirigeants à aller plus loin dans la transition climatique ? En les touchant au portefeuille ! Constatant que la composante climat des critères RSE pèse en moyenne seulement 10% de la rémunération variable annuelle et de long terme des grandes sociétés cotées, le Collège des directeurs du développement durable (C3D) a réfléchi aux incitations qui pourraient permettre d'accélérer la décarbonation, rendue indispensable par l'urgence climatique.

Au moins 50% du variable lié au climat

Aussi, "nous promouvons l'instauration d'un 'golden climat', qui pèserait pour 50% de la rémunération variable de court et long terme et serait conditionné à une baisse des émissions de gaz à effet de serre en absolu, y compris si la société est en croissance, sur ses scopes 1,2 et 3", explique Fabrice Bonnifet, président du C3D. "Ce variable ne sera versé ou attribué que si la trajectoire de décarbonation de l'entreprise est validée par la science (1,5 degré ou Net Zero), notamment par le SBTi", l'initiative Science-based Target, ajoute-t-il. L'objectif du C3D est de faire du "golden climat" une bonne pratique de place.

Attention, ce dispositif ne s'ajoute pas mais se substitue aux rémunérations variables actuelles. Il devrait aussi permettre de limiter le risque de compensation de critères financiers plus difficiles à atteindre par des critères extra-financiers qualitatifs, plus discrétionnaires. "Dans l'idéal, ce 'golden climat' sera mesuré tous les ans", poursuit Fabrice Bonnifet. "Mais la temporalité pourra être adaptée en fonction du profil de l'entreprise, notamment pour les plus capitalistiques dont la transformation demande des investissements lourds."

Ce 'golden climat' "est une évolution naturelle de la prise en compte de l'extra-financier et permet d'anticiper raisonnablement la mise en œuvre de la directive CSRD sur le reporting durable", conclut Fabrice Bonnifet. "Ce nouvel outil incitatif ne sera pas un sujet pour les entreprises sincères dans leur stratégie climat et constituera même un facteur d'attractivité pour attirer les talents", conclut-il.

-Bruno de Roulhac, L'Agefi ed: VLV

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(END) Dow Jones Newswires

 

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