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BRUXELLES (Agefi-Dow Jones)--La Commission européenne a ouvert mardi après-midi l'une des dernières séquences politiques majeures d'ici la fin de sa mandature, à l'été 2024, en proposant une révision à mi-parcours du budget communautaire 2021-2027. Ce "cadre financier pluriannuel" (CFP) avait initialement été doté de 1.074,3 milliards d'euros en 2020 lors des négociations marathon qui avaient également vu naître le plan de relance commun post-pandémie Next Generation EU, de 750 milliards d'euros.
Ce nouveau cycle de tractations s'annonce, une fois encore, électrique. Pour résumer, le volume des dépenses jugées nécessaires a sensiblement augmenté par rapport à ce qui avait été estimé en 2020 en raison, notamment, du soutien à l'Ukraine, alors même que les conditions d'accès aux financements se sont durcies. La brutale remontée des taux d'intérêt fait exploser le coût du remboursement de la dette commune contractée par les Etats membres de l'Union européenne (UE) pour financer NextGeneration EU : cette charge devrait doubler, voire quasiment tripler, pour passer de 15 milliards d'euros estimés en 2020 pour toute la période 2021-2027, à une fourchette de 32 milliards à 42 milliards d'euros. Or, le remboursement du plan de relance est effectué via le budget de l'UE. Plus généralement, l'augmentation des taux décuple la contrainte budgétaire pesant sur les Vingt-Sept, dont les contributions nationales constituent, de loin, la principale source de financement du budget européen.
Bruxelles sait donc le contexte particulièrement tendu. Dans sa proposition, la Commission table néanmoins sur une rallonge totale de 65,8 milliards d'euros, demandée aux Etats membres sur la période 2024-2027.
Trois priorités
L'essentiel de la somme serait réparti entre "trois grandes priorités politiques". La première d'entre elles est le soutien à l'Ukraine. Un montant de 17 milliards d'euros, à distribuer sous forme de subventions directes au pays, viendrait ainsi abonder une nouvelle "facilité" dotée d'un montant total de 50 milliards d'euros, toujours sur la période 2024-2027. Celle-ci fournira également des garanties et des prêts, le tout en faveur des "besoins immédiats du pays, de sa relance, et de sa modernisation sur la voie vers l'UE". L'ambition affichée est en effet d'encourager l'Ukraine, par une dose de conditionnalité, à effectuer certaines réformes et certains investissements, la préparant à sa future adhésion à l'Union.
"Cette nouvelle facilité est clairement inspirée de la facilité pour la relance et la résilience [principal élément du plan de relance de l'UE]. Il y a toutefois quelques différences : d'abord le soutien financier sera coordonné avec les autres donateurs internationaux, ensuite, l'instrument est en partie conçu pour mobiliser des investissements privés", résume Eulalia Rubio, experte du budget européen à l'Institut Jacques Delors.
Deuxième priorité établie par la Commission : "faire face aux pressions migratoires". Quelque 15 milliards d'euros supplémentaires y seraient alloués. Le montant se divise principalement entre, d'une part, la gestion des frontières extérieures de l'UE, et, surtout le soutien aux pays voisins, comme la Turquie.
La compétitivité, la troisième thématique prioritaire, a, dans les faits, tout du parent pauvre de la proposition de Bruxelles. La révision du budget européen était censée donner naissance à un "Fonds de souveraineté", initiative promise par Ursula von der Leyen en début d'année pour, notamment, répondre à l'Inflation Reduction Act (IRA), le plan de 370 milliards de dollars déployé par l'administration Biden en faveur de l'industrie verte américaine.
L'idée fait finalement office de principale victime des arbitrages de la Commission. La proposition dévoilée mardi prévoit certes la création d'une nouvelle "Plateforme européenne pour les technologies stratégiques" ("Strategic Technologies for Europe Platform", ou STEP), vouée à renforcer les investissements publics dans les industries vertes, mais aussi dans des projets d'"innovations numériques" (dont l'intelligence artificielle), et dans les biotechnologies. Cependant, seuls 10 milliards d'euros d'argent frais lui sont attribués.
L'essentiel des financements devrait plutôt provenir de réallocations de fonds initialement destinés à la Politique cohésion - instruments de solidarité en faveur des pays les moins développés de l'UE, et principal poste de dépenses du budget européen. "Au total, en comptant les investissements privés générés, nous nous attendons à une capacité d'investissement de 160 milliards d'euros", a assuré mardi Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission. "Cette estimation est fondée sur des multiplicateurs qui me paraissent complètement irréalistes. Pour faire simple, la Commission a enterré le fonds de souveraineté, tel qu'il avait été imaginé au départ", tance Sander Tordoir, du Centre for European Reform.
Unanimité requise
Déjà jugé décevant par de nombreux observateurs, ce plan risque fort d'être encore raboté par les Vingt-Sept, dont un vote à l'unanimité est nécessaire pour valider toute révision du budget européen. La Commission européenne s'est fixé jusque mi-novembre pour conclure ces délicats pourparlers.
"Je doute notamment que l'enveloppe de 10 milliards d'euros d'argent frais survive politiquement : plusieurs Etats membres dont l'Allemagne et les Pays-Bas ont déjà fait savoir qu'ils ne comptaient pas donner de contributions supplémentaires au budget communautaire. Leur priorité ira dès lors certainement aux dépenses 'inévitables' : l'Ukraine et le remboursement de l'endettement commun", estime Sander Tordoir. Sur ce dernier point, Bruxelles réclame 18,9 milliards d'euros supplémentaires pour financer le surcoût lié à la hausse des taux d'intérêts. Une telle estimation étant par nature très aléatoire, la somme pourra être revue chaque année.
Enfin, comme attendu, la Commission européenne a proposé formellement mardi la création de plusieurs nouvelles ressources propres de l'UE, qui abonderaient, dans les prochaines années, le budget communautaire. Un montant de 6 milliards d'euros par an serait issu des recettes du marché carbone européen et 1,1 milliard d'euros en plus viendraient du futur mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Bruxelles préconise enfin un mécanisme de contributions des Etats membres, assises sur les bénéfices réalisés par leurs entreprises. Si les recettes sont ici estimées à 16 milliards d'euros, la règle de l'unanimité au Conseil rend son adoption assez improbable à moyen terme. Les Etats membres ne sont pas près de céder les cordons de la bourse.
-Clément Solal, L'Agefi ed: VLV
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