Comment justifier la valorisation d’Arm ?

Le prix de l’IPO semble s’inscrire dans la continuité des transactions passées.

Jocelyn Jovène 14.09.2023
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Crédit photo: AP

Pour comprendre le prix du concepteur de puces Arm Holdings, il faut faire fi de certains défis à la fois stratégiques et juridiques, et regarder le passé.

En proposant un prix de cotation de 51 dollars, dans le haut de fourchette, Arm affiche une capitalisation boursière de départ de 54,5 milliards de dollars, soit 20x le chiffre d’affaires de son exercice fiscal 2023 – un niveau très exigeant selon Morningstar.

Etonnamment, ce multiple de 20x les ventes est une constante dans l’histoire de l’entreprise.

C’est à ce niveau de valorisation que Softbank a racheté l’entreprise britannique en 2016 pour 32 milliards de dollars, en plein Brexit. A l’époque, Arm réalisait un chiffre d’affaires de 1,5 milliard de dollars environ et Softbank faisait le pari que l’entreprise deviendrait le leader de l’Internet des objets.

C’est également à ce niveau que NVIDIA, leader mondial des processeurs graphiques, ambitionnait de reprendre l’entreprise à Softank en 2020 pour 40 milliards de dollars, avant que le projet de rachat ne soit retoqué par les autorités de la concurrence en février 2022.

Les ventes d’Arm en 2020 étaient de 2 milliards de dollars.

Payer 20 fois le chiffre d’affaires d’une entreprise suppose une sacrée dose d’optimisme, en particulier avoir la conviction que ses positions concurrentielles évolueront favorablement (ou à tout le moins ne se détérioreront pas) ou qu’elle trouvera des relais de croissance lui assurant un avenir radieux.

Dans le cas de l’Internet des Objets (IoT), le pari d'Arm n’a été que partiellement concrétisé.

Celui d’aujourd’hui, centré sur l’Intelligence artificielle, dont tout le monde veut tirer parti, est-il plus réaliste dans un secteur où les positions concurrentielles peuvent évoluer en quelques année (demandez à Intel ce qu’il pense des percées d’AMD et de NVIDIA, ou même d’Arm dans les serveurs et les centres de données) ?

Les perspectives d’Arm dépendent toujours principalement de ses positions ultra-dominantes dans la téléphonie mobile.

Quatre-vingt dix-neuf pourcent des téléphones portables « tourneraient » avec des puces utilisant les circuits conçus par Arm.

AppleQualcomm et d’autres fabricants de puces pour les télécommunications sont des clients stratégiques et devraient le rester (même si l’on sait qu’Apple travaille à développer son propore modem pour mobile depuis plusieurs années et que dans les PC il a réussi à rendre les designs d’Intel obsolètes en les remplaçant par ses propres processeurs – eux-mêmes utilisant des « designs » fournis par… Arm).

Sur d’autres marchés, en particulier l’automobile, l’Internet des Objets ou l’informatique, les circuits conçus par Arm semblent gagner en importance, mais on est encore loin de la domination dont l’entreprise jouit dans les portables. Rien n'indique aujourd'hui que ces marchés offriront à Arm un moteur de croissance justifiant de payer le titre 20 fois les ventes.

Au-delà des relais de croissance, le positionnement d’Arm peut-être âprement disputé, au point qu’il est source de litiges juridiques et source de risque non négligeable.

Ainsi, depuis l’an dernier, Arm a intenté un procès contre Qualcomm et Nuvia. Qualcomm représente 11% des ventes d’Arm. Le procès débutera en septembre 2024, ce qui selon Arm, « requièrera d’importantes dépenses légales » sans même considérer les conséquences possibles sur les relations commerciales entre les deux entreprises (qui pourraient toutefois trouver un accord avant cette date).

Autre risque et non des moindres, les relations entre Arm et sa « filiale » chinoise, Arm China, qu’il ne contrôle pas (pas davantage que Softbank) et qui pourtant représente 25% de ses facturations.

Cette situation est pour le moins ubuesque. Elle reflète des relations qui ont par le passé été tumultueuses entre les deux entités et qui ont pollué pendant un certain temps la préparation de l’introduction en Bourse.

Les tensions entre les Etats-Unis et la Chine au sujet de l’accès de cette dernière aux dernières technologies de fabrication de semi-conducteurs (maîtrisées aujourd’hui par Taiwan et la Corée du Sud) n’arrangent rien et pourraient créer une incertitude sur les ventes futures d’Arm dans l’empire du Milieu.

Ces incertitudes pèseront-elles sur le parcours boursier d’Arm ?

A court terme, cela semble peu probable, ne serait-ce que pour des raisons « techniques ». Softank doit placer un peu moins de 100 millions d’actions, travail que vont se partager pas moins de 30 ( !) banques d’affaires qui participent à l’opération.

L’effet rareté pour le papier Arm va en outre être amplifié par la participation de plusieurs entreprises phares du secteur, qui ont indiqué leur intention d’acheter pour environ 735 millions de dollars de titres (soit 15% du placement total).

Après avoir essuyé une série de déconvenues dans le secteur de la technologie, Softbank a visiblement besoin de marquer des points en donnant l’impression de réussir haut la main ce placement.

Pour une fois, l’entreprise dirigée par Masayoshi Son a tout fait pour limiter sa prise de risque, ce qui n’est pas trop dans ses habitudes.

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.