Atos : l’histoire d’une gabegie financière

Le plan de transformation du groupe de services informatiques, passé d’un projet de scission à une cession d’actifs dans des conditions opaques, pourrait être attaqué en justice.

Jocelyn Jovène 19.09.2023
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atos 2016

Crédit photo: AP. Philippe Vannier, Pierre Barnabe, Thierry Breton, Emmanuel Macron (de gauche à droite) en 2016 lors de la reprise de Bull par Atos.

La longue descente aux enfers d’Atos, entamée il y a trois ans, semble loin d’être terminée.

Le groupe de services informatiques glisse depuis quelques mois dans une crise de gouvernance sans précédent et doit faire face à la colère d’actionnaires et d’investisseurs qui s’estiment floués. L’affaire pourrait aller en justice.

Alors qu’en juin 2022, le groupe annonçait un projet de scission en deux sociétés cotées, il a dévoilé début août 2023 son intention de céder son activité historique d’infogérance, Tech Foundations, au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky (via sa filiale EPEI), dans des conditions financières jugées peu transparentes par plusieurs investisseurs.

Revirement stratégique ?

Le communiqué de presse de juin 2022 évoque pourtant un plan initial différent, qualifié prudemment de « possible séparation en deux sociétés cotées » - SpinCo (Evidian), dans la « transformation numérique, le big data et la cybersécurité », et TFCo (Atos) dans « l’infogérance, les services professionnels et les espaces de travail numérique ».

En octobre, Atos indique que « le projet de séparation est en bonne voie pour être finalisé au second semestre 2023, comme initialement prévu » et reste convaincu que ce plan sera « fortement créateur de valeur pour tout les parties prenantes d’Atos. »

Puis, à la surprise générale et quelques jours après l’annonce des résultats semestriels (27 juillet 2023), le groupe privilégie le 1er août une cession de Tech Foundations pour une valeur d’entreprise de 2 milliards d’euros à EPEI, déjà impliquée dans la reprise de Casino.

Entre l’annonce du projet de scission en juin 2022 et celle de la cession de Tech Foundations en août dernier, le cours de Bourse d’Atos est passé de 14,41 euros à 9,07 euros. Il cote actuellement moins de 7 euros.

Autrement dit, la Bourse ne croit pas aux plans et aux « progrès » mis en avant par la direction.

Mais ces doutes des investisseurs ne sont pas nouveaux.

Une longue glissade boursière

En février 2020, Atos annonce ses résultats pour l’exercice 2019 et la mise en place d’une nouvelle équipe de direction, pilotée par Elie Girard.

Selon le communiqué de presse diffusé alors, cette dernière « se concentrera sur la mise en œuvre du programme Spring, l’approche sectorielle du Groupe, qui permettra de développer et d’attirer le plus haut niveau d’expertise pour chaque secteur d’activité. »

A l'époque, le titre Atos cote 78,10 euros.

Quelques mois plus tôt, Thierry Breton a annoncé le 24 octobre 2019 son départ de l’entreprise (pour la Commission européenne) et est remplacé par Elie Girard et Bertrand Meunier, respectivement directeur général et président non-exécutif du conseil d’administration. La Bourse salue la nouvelle et le titre prend près de 10% à 69,88 euros.

La cession de Worldline, spécialiste du traitement des transactions financières, est déjà engagée depuis mai 2019.

Atos se retrouve recentré sur des métiers classiques d’infogérance, de conseil informatique. Il engage en 2020 le plan « Spring », qui prévoit « une refonte du portefeuille des offres, une nouvelle approche commerciale et une organisation dont l’axe premier devient le secteur d’activité. »

L’entreprise, qui réalise un chiffre d’affaires 2019 de 11,6 milliards d’euros, a trois activités : l’infogérance (55% des ventes), le conseil, la transformation numérique et l’automatisation des opérations (36%) et la cybersécurité et le « big data » (9%).

Irrégularités comptables

En 2020, malgré la crise sanitaire mondiale, le groupe affirme avoir « renforcé [notre] activité, organiquement et au travers d’acquisitions dans le Digital, le Cloud, la Sécurité et la Décarbonation », tandis que le programme « Spring » « a accru la valeur qu’Atos peut apporter à ses clients. »

Fait inédit toutefois, la publication du rapport annuel comprend une « opinion avec réserve » des commissaires aux comptes, en référence à deux entités américaines du groupe où sont repérés « plusieurs points de faiblesse du contrôle interne » « qui ont conduit à constater plusieurs erreurs comptables, ainsi qu’un risque de contournement des contrôles. »

Un an plus tard, lorsqu’il annonce ses résultats annuels, Atos n’est pas tiré d’affaires, au contraire. Si le chiffre d’affaires recule de 3,5% sur l’année, la marge d’exploitation plonge de 550 points de base, de 9% à 3,5%.

Entre juillet 2021 et janvier 2022, Atos émet deux « profit warnings » et renonce à un projet d’acquisition important aux Etats-Unis. Le groupe nomme un nouveau directeur général, Rodolphe Belmer, mais conserve son président.

Avertissements sur résultats

Le cours de Bourse commence a tanguer sérieusement, passant de 65,42 euros (jour de l’annonce du projet d’acquisition de DXC Technology) à 32,10 euros en janvier 2022, lorsqu’il fait son deuxième avertissement sur résultat en 18 mois.

Espérant regagner les faveurs du marché, le groupe officialise son plan de scission en juin, juste après avoir cédé le reliquat de sa participation dans Worldline. En deux séances, le cours de Bourse d’Atos plonge de près de 35%.

Malgré un léger rebond de l’activité au premier semestre, les marges continuent de se détériorer (1,1%), les pertes d’accumulent (déficit de 503 millions d’euros) et la consommation de cash s’envole (555 millions d’euros).

Face à des résultats qui se détériorent et une dette qui commence à prendre de l’ampleur, le groupe engage des cessions d’actifs (ItalieUnify) puis prévoit d’ouvrir à Airbus le capital de son activité Evidian.

Lorsqu’Atos annonce ses résultats 2022, en février dernier, le groupe estime que son plan de transformation « avance ». Le groupe est désormais dirigé par un trio (Nourdine Bihmane, Diane Galbe et Philippe Oliva), tandis que Bertrand Meunier est toujours à la tête du conseil d’administration.

Bronca des actionnaires et des parlementaires

Après un point bas vers 10-11 euros, fin 2022, le cours de Bourse a rebondi vers 13-14 euros. Le groupe semble se redresser, en particulier dans l’infogérance, et affiche des perspectives 2023 plus encourageantes (marge de 4%-5% contre 3,1% en 2022).

Le rebond boursier s’arrête toutefois lorsque les médias indiquent qu’Airbus souhaiterait revoir les conditions d’entrée au capital d’Evidian.

En juin, le gestionnaire d’actifs Sycomore AM demande lors de l’assemblée générale à venir le remplacement de Bertrand Meunier et d’autres administrateurs. Ses propositions sont rejetées.

En août, c’est l’annonce surprise d’une vente plutôt qu’une scission de l’activité d’infogérance à Daniel Krestinsky qui provoque une nouvelle bronca des investisseurs, laquelle se double d’une montée au créneau de sénateurs, inquiets d’une prise de contrôle par des non-résidents d’une activité « clé pour notre autonomie stratégique. »

La société de gestion CIAM s’oppose à la vente de Tech Foundations au milliardaire tchèque et soulève notamment des questions quant aux conditions financières de la transaction, jugées peu transparentes.

Les administrateurs au premier plan

Comme l’ont indiqué des observateurs au journal en ligne Mediapart, les difficultés d’Atos révèle un « mal français » trop souvent observé : le conseil d’administration ne semble aucunement jouer son rôle de contrôle des décisions de la direction générale.

« Ce conseil n’est qu’une chambre d’enregistrement » affirme au journal un observateur.

Pour Atos, toutefois, la vente de Tech Foundations « achève la transformation » du groupe.

Elle ouvre pourtant la porte à une nouvelle période d’incertitudes qui n’a pas fini de laisser des traces dans l’entreprise.

Atos ne vaut plus que 778 millions d’euros en Bourse, contre 8,7 milliards d’euros en février 2020.

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.