Sur les marchés actions, une variation de quelques points de pourcentage passe assez souvent pour un événement plutôt anodin.
Sur les marchés de taux, il suffit d’une variation de quelques dizièmes de points de pourcentage des rendements des obligations souveraines pour faire trembler les investisseurs.
Imaginez donc la nervosité des investisseurs lorsque le rendement à 10 ans des bons du Trésor américain a franchi le cap des 5% en mars, puis de nouveau en août et de manière plus insistante depuis la mi-septembre.
Replacée dans une perspective historique longue, cette remontée des rendements obligataires longs aux Etats-Unis inquiète et fait dire à de nombreux observateurs que l’on assiste à un krach obligataire qui pourrait entraîner une correction brutale des Bourses.
Albert Edwards, stratégiste chez Société Générale, ou Christopher Wood chez Jefferies, n’hésitent pas à faire un parallèle avec 1987.
En l’espace de quelques jours, la Bourse américaine trébuchait de près de 30% en quatre jour, dont une chute de 20,5% le 19 octobre 1987, alors que le rendement à 10 ans des bons du Trésor était passé de 8,2% le 17 juin à 10,23% le 15 octobre…
Sans atteindre de tels niveaux, le rendement des bons du Trésor ont progressé de 140 points de base depuis le mois d’avril dernier et se maintiennent au-dessus de 5%.
Selon les stratégistes actions Europe de Bank of America, cette remontée des taux ne s’explique pas par les fondamentaux : les indicateurs avancés d’activité économique ainsi que l’inflation ont eu plutôt tendance à reculer ces derniers mois.
Elle serait davantage due à une « revalorisation [« repricing »] des attentes du marché quant aux décisions de la Fed ainsi qu’à l’évolution du déficit public américain, avec à la clef une hausse de la « prime de terme » (prime requise pour détenir une obligation d’une certaine maturité).
L’inquiétude tient aussi au fait que les rendements obligataires américains semblent s’être durablement inscrit dans une tendance haussière, rompant avec la baisse des 40 dernières années.
Cette « tension » sur l’obligataire intervient dans un contexte particulier, marqué par une remontée des taux directeurs de la Fed à une vitesse et des niveaux pas vu depuis 22 ans, mais également par une courbe des taux qui est inversée depuis juillet 2022, signe que les marchés obligataires s’attendent à une contraction de l’économie américaine – scénario qui n’est actuellement pas du tout envisagé par les marchés actions (le P/E du marché américain, bien qu’en recul, est toujours au-dessus de sa moyenne historique, signe d’un certain optimisme quant à l’évolution future des profits des entreprises cotées).
Dernièrement, l’écart entre les rendements à 2 et 10 ans s’est réduit rapidement.
La hausse des taux longs est jugée inquiétante car elle répond à une vente d’obligations souveraines (afflux d’émissions).
En effet, compte tenu d’un endettement public élevé aux Etats-Unis (5,3% du PIB en 2022), une hausse des taux se traduit par des besoins de financement accrus du gouvernement fédéral.
Pour acheter ce papier, les investisseurs demandent un surcroît de rendement.
Quel impact pour les marchés ?
La hausse des rendements obligataires a déjà un impact les marchés financiers.
Après avoir atteint un plus haut au début de l’été, les marchés actions mondiaux, américains et européens en particulier, ont commencé à reculer.
Comme les taux courts sont à des niveaux encore plus élevés que les taux longs, les investisseurs peuvent trouver des rendements relativement attractifs avec un faible risque de duration, relativement aux autres classes d'actifs, et notamment aux actions.
Sur les marchés actions, la hausse des taux a profité aux financières européennes, mais a pénalisé les secteurs sensibles au coût de l’argent, en particulier les services collectifs et plus généralement, les secteurs défensifs qualifiés de « bond proxies ».
Aux Etats-Unis, le multiple de valorisation du secteur technologique a également reflué, passant d’un ratio cours sur bénéfice de 30x début juillet à 27xactuellement (contre respectivement 21x et 19x pour l’indice S&P 500).
Dans une note du 5 octobre, Christopher Wood chez Jefferies observe : « La similarité avec l’épisode de 1987 est qu’un krach historique avait été précédé par un mouvement de vente massif de bons du Trésor au cours de l’été. »
Le test pour savoir si un épisode d’une telle magnitude peut se reproduire consistera, selon Wood, à observer comment le marché obligataire américain réagira si les prochaines données économiques américaines se détériorent soudainement, en particulier sur le front de l’emploi.
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