Crédit photo: AP
PARIS (Agefi-Dow Jones)--Pas moins d'une quinzaine d'amendements. De tous bords. Plusieurs parlementaires, de LFI à Renaissance, en passant par le PS, le Modem ou le groupe Liot, multiplient les propositions sur le thème des rachats d'actions et, dans une moindre mesure, sur ce que certains députés qualifient de "super-dividendes" alors que les débats sur le projet de loi de finances 2024 entrent dans une première phase active avec les discussions en commission. Une ligne de conduite : instaurer une taxation censée contribuer au budget de l'Etat.
Le concours Lépine de la taxation supplémentaire des résultats des entreprises - qui sont déjà fiscalisés par l'impôt sur les sociétés - est ainsi lancé. Parmi les trouvailles, parfois concurrentes, souvent redondantes, LFI suggère d'instaurer une "contribution exceptionnelle à hauteur de 10% sur les dividendes distribués" par les entreprises du CAC 40 en 2023. Le PS propose pour sa part une contribution progressive. Si le premier milliard de versement de dividendes ou de rachat d'actions reste imposé à la "flat tax", tout milliard supplémentaire retourné aux actionnaires supporterait un point d'imposition en plus : 31% de 1 milliard à 2 milliards d'euros, 32% de 2 milliards à 3 milliards, etc. D'autres amendements concurrents, émanant du PS et de LFI, proposent de s'en tenir à 1% d'impôt sur les enveloppes de rachat d'actions. Le groupe Liot, par l'intermédiaire de Charles de Courson, propose un niveau d'imposition des rachats d'actions plus modeste - de 0,1% - mais pour toutes les sociétés anonymes - et donc pas seulement les sociétés cotées - pour les montants supérieurs à 50.000 euros.
La tentation fiscale n'épargne pas certains députés proches du gouvernement. Le Modem propose également 1% d'imposition sur les programmes de rachat d'actions, mais "seules les entreprises cotées dont le chiffre d'affaires excéderait 1 milliard d'euros seraient concernées par cette taxe". Du côté de Renaissance, plusieurs amendements sont avancés. L'un d'eux propose pour les entreprises dont les capitalisations sont supérieures à 1 milliard d'euros et opérant des rachats d'actions de "majorer de 1% le taux de la taxe sur les transactions financières, actuellement fixé à 0,3%". Un amendement concurrent, provenant également de Renaissance, propose un taux de 2%.
Une pratique qui suscite les convoitises
Si la tentation d'introduire une taxe sur les rachats d'actions aiguise autant l'imagination parlementaire, c'est que la démarche connaît, en France comme en Europe et aux Etats-Unis, un franc succès auprès des grandes entreprises cotées. En 2022, les rachats d'actions ont atteint à l'échelle mondiale un record de 1.310 milliards de dollars, un niveau un peu inférieur à l'enveloppe des dividendes versés (1.390 milliards de dollars). Cette frénésie est alimentée par les multinationales américaines, à l'origine de neuf des dix plus gros rachats d'actions opérés l'an dernier. Le géant technologique Apple a notamment racheté pour 89 milliards de dollars d'actions en 2022. Le pétrolier britannique Shell est la seule entreprise non américaine à s'être hissée dans ce club.
De part et d'autre de l'Atlantique, les stratégies de retour aux actionnaires diffèrent. A Wall Street, depuis 2000, "les rachats d'actions représentent en moyenne 58% du retour à l'actionnaire", calcule Natixis CIB, notamment en raison d'une fiscalité plus défavorable appliquée aux dividendes. En Europe, la situation est inverse, avec seulement 30% pour l'indice Stoxx Europe 600 et même seulement un quart pour le CAC 40.
Pour l'indice phare parisien, 2023 tient encore du bon millésime. "Jamais autant de nouveaux programmes n'ont été annoncés lors d'un premier semestre", relève Cédric Richard, responsable du corporate broking & syndication actions chez Natixis CIB.
Un millésime 2023 moins flamboyant
S'il est généreux en termes d'annonces, le millésime 2023 s'avère en revanche moins flamboyant en termes d'exécution. BNP Paribas Exane se penche, dans une étude trimestrielle réalisée sur un échantillon de 425 sociétés européennes et britanniques de l'univers Stoxx, sur les rachats d'actions effectivement réalisés, et non sur les seuls programmes annoncés. Les montants sont en recul de 12,3% sur les neuf premiers mois de 2023, à 106 milliards d'euros contre 121 milliards d'euros un an plus tôt. Cette année, 116 sociétés ont racheté leurs propres titres, contre 127 en 2022 (-8,6%). Soit 27% de l'échantillon.
En 2023, les financières - avec BNP Paribas, HSBC, ING et UniCredit, particulièrement actives - occupent la plus haute marche du podium, avec 32 milliards d'euros d'actions effectivement rachetées, un montant stable par rapport à 2022.
Elles devancent le secteur de l'énergie, principalement les pétrolières Shell, BP et TotalEnergies, à 25,3 milliards d'euros (contre 28,4 milliards en 2022), et le secteur fourre-tout de la consommation discrétionnaire, qui a réalisé pour 16 milliards d'euros de rachats d'actions. Ce dernier secteur englobe des entreprises aussi différente que le constructeur automobile Stellantis, le spécialiste de la restauration collective Compass et la société d'investissement Prosus, premier actionnaire du géant chinois d'Internet Tencent.
En termes géographiques, la forte présence des pétrolières et des financières à la cote britannique offre au Royaume-Uni la tête des pays les plus actifs, avec 41 programmes réalisés sur les six premiers mois de 2023 pour 28 milliards d'euros. Suivent la France - 26 programmes exécutés pour 13 milliards d'euros - et les Pays-Bas - 14 programmes pour 9 milliards d'euros. L'Allemagne, en dépit d'Allianz, Munich Re ou SAP à la manœuvre, reste loin derrière, avec seulement 4 milliards d'euros rachetés.
Autour de 35 milliards d'euros par trimestre
"Le rythme des rachats d'actions en Europe s'établit depuis un an autour de 35-36 milliards d'euros par trimestre, après un pic de 44 milliards d'euros au troisième trimestre 2022", souligne Emmanuel Sasson, responsable du corporate cash equities EMEA chez BNP Paribas Exane. "La hausse des taux opérée par la Réserve fédérale (Fed) correspond à un durcissement des conditions financières à long terme de l'ordre de 25 points de base en taux réels. De quoi alimenter un impact négatif de l'ordre de 20% des rachats d'actions pour les entreprises", poursuit-il.
Selon lui, tant que la génération de cash-flow est importante chez les émetteurs, tout épisode de stress - à la manière de 2008, où les rachats d'actions s'étaient totalement taris au sein du CAC 40, les entreprises luttant pour préserver leur trésorerie - est improbable. "Depuis la rentrée, nous avons été interrogés par 20 émetteurs européens en vue d'appels d'offres pour l'exécution de nouveaux programmes dans les trois à six prochains mois", indique-t-il.
Un sentiment partagé chez Natixis CIB. "Beaucoup de programmes de rachat d'actions sont aujourd'hui embarqués et à terminer", acquiesce Cédric Richard, pour lequel "trois facteurs influencent la possibilité des rachats d'actions : les conditions de financement des entreprises, la trajectoire de leurs bénéfices et les investissements à réaliser. Face à des investissements insuffisants, il est plutôt sain pour une entreprise de retourner son cash excédentaire à ses actionnaires qui, eux, sauront le réemployer et investir ailleurs".
Le risque de gripper la machine
Dans ce contexte financier, l'activisme fiscal de certains députés n'est pas sans risque. "Attention au manque de nuance", s'inquiète Cédric Richard. Si "le retour aux actionnaires est massif en montant depuis trois ans, les rachats d'actions visent surtout, en nombre total d'opérations, d'autres objectifs, comme la neutralisation d'effets dilutifs liés à des obligations convertibles ou des plans d'incitation de long terme en faveur des personnels via l'actionnariat salarié", souligne le responsable de Natixis CIB.
"Les émetteurs qui ont besoin de mettre en place des rachats d'actions pour couvrir des plans en faveur de leur équipe ou couvrir des instruments convertibles ne changeront sans doute pas leur programme. Mais ceux qui rachètent des actions en vue de les annuler pour servir leurs actionnaires arbitreront peut-être en faveur des dividendes", souligne Emmanuel Sasson chez BNP Paribas Exane. Mais entre-temps, les outils de motivation des équipes et la souplesse financière des entreprises auront été réduits. Une mécanique bien huilée que certains parlementaires, tout à leur créativité fiscale, sont tentés de gripper.
-Lionel Garnier, L'Agefi ed: VLV
Agefi-Dow Jones The financial newswire
(END) Dow Jones Newswires
© Morningstar, 2023 - L'information contenue dans ce document est à vocation pédagogique et fournie à titre d'information UNIQUEMENT. Il n'a pas vocation et ne devrait pas être considéré comme une invitation ou un encouragement à acheter ou vendre les titres cités. Tout commentaire relève de l'opinion de son auteur et ne devrait pas être considéré comme une recommandation personnalisée. L'information de ce document ne devrait pas être l'unique source conduisant à prendre une décision d'investissement. Veillez à contacter un conseiller financier ou un professionnel de la finance avant de prendre toute décision d'investissement.