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PARIS (Agefi-Dow Jones)--Le lobbying est feutré de ce côté de l'Atlantique. Alors que les banques de Wall Street se sont offert un spot de publicité lors d'un match de football alertant l'Américain moyen sur "des règles non nécessaires" qui vont peser sur les coûts de financement, les banques françaises jouent leur partition lors de réunions avec le Trésor ou de déjeuners avec l'eurodéputé Renaissance Gilles Boyer.
La transposition sur le continent européen des règles de Bâle 3, qui ont été révisées après la crise financière, n'est pas totalement finalisée. Le vote sur le paquet législatif - les directives CRR 3 et CRD 6 -- doit avoir lieu début avril au Parlement européen, avant la tenue des élections. L'Autorité bancaire européenne (EBA) a, de son côté, été saisie de 140 mandats pour permettre l'entrée en vigueur des nouvelles règles au 1er janvier 2025. Un calendrier qu'elle entend respecter, tandis que ses homologues britanniques ont annoncé un lancement en juin 2025 sur la base de règles beaucoup plus minimalistes.
Après d'âpres discussions politiques en trilogue qui ont permis d'arracher des mesures transitoires, les banques françaises ont donc encore quelques cartes à jouer pour éviter que le fardeau réglementaire ne soit trop lourd.
Un impact non négligeable
Selon des études d'impact de l'EBA, la hausse des actifs pondérés des risques (RWA) au moment de la montée en charge finale de la réforme sera de 11% pour l'ensemble des banques de la zone euro et de 15% pour les établissements systémiques, dont les quatre banques françaises.
Si elles n'augmentent pas leur capital, leurs ratios CET1 devraient donc mécaniquement baisser, passant de 15,3% à 13,2% pour l'ensemble de la zone euro et de 14% à 11,6% pour les grandes banques françaises.
D'après les premières estimations, les huit plus grosses banques américaines s'attendent à voir leurs exigences de capital augmenter de 19%.
Mais, contrairement à leurs rivales européennes, elles ne sont qu'au début du processus d'adoption, la consultation sur le texte venant de se conclure le 16 janvier. A l'approche des élections présidentielles, le sujet est devenu hautement politique, les banques de Wall Street se cherchant des alliés au sein du camp républicain. Dans ce contexte, il apparaît très probable que le texte soit amendé ou sa mise en application reportée.
L'espoir (mince) d'un report de calendrier
De quoi plaider, estiment les banques françaises, pour un report de ce côté de l'Atlantique. Sur un plan plus pragmatique, le chantier technique pour que la réforme prenne corps est énorme. Si l'EBA assure que le calendrier sera tenu de son côté, rien ne dit que les banques pourront revoir le calcul de leurs ratios et la production de leur reporting dans les temps.
"Les travaux de l'EBA sont décisifs pour que les établissements collectent les données, les vérifient et adaptent leurs systèmes d'information. Cela leur laisse peu de temps pour se préparer", souligne Sylvie Miet, associée en charge de la réglementation prudentielle pour le secteur Banque chez KPMG France.
A ce stade, l'espoir d'un report du calendrier en Europe est toutefois mince. "Le Parlement européen a déjà fait des concessions pendant la négociation du texte", indique une source au fait des discussions. Parmi ces concessions, figurent des mesures transitoires sur la hausse de la pondération appliquée au crédit immobilier, qui ont été réclamées par les banques françaises.
Cette dernière va passer progressivement de 10% à 25% en 2032. Cette hausse représente près de 600 milliards d'euros de RWA pour les banques européennes, soit l'équivalent d'un gros groupe bancaire de la zone. "Il ne faut pas croire que les mesures transitoires lissent l'impact sur le crédit, car les encours qui seront concernés en 2032 sont constitués dès maintenant", s'agace-t-on sur la place.
Des modèles internes bridés
Mais c'est surtout la mesure dite de "l'output floor" qui inquiète les banques françaises. Elle fixe une limite plancher aux exigences de fonds propres produites par les modèles internes des banques à 72,5% des exigences de fonds propres qui s'appliqueraient sur la base des approches standard.
"Le comité de Bâle a souhaité réduire l'impact des modèles internes car les exigences de fonds propres pouvaient s'avérer différentes, d'une banque à l'autre, pour une même contrepartie", rappelle Arnaud Pujol, director finance strategy & performance bank chez KPMG France. Or, les banques américaines ont beaucoup moins recours à ces modèles internes que leurs homologues européennes.
Les banques françaises, notamment les mutualistes ayant une grosse part du marché de la banque de détail, seront les premières touchées par cette mesure. "L'output floor vise à optimiser le recours aux modèles internes, non pas à le brider. L'un des mandats clefs de l'EBA, qui va susciter des discussions avec les banques et leur superviseur, consiste à veiller à ce qu'il n'y ait pas de double peine. Par exemple, au titre du pilier 2, une charge supplémentaire pouvait jusqu'ici être requise si l'optimisation permise par les modèles internes était jugée trop forte", défend Isabelle Vaillant, directrice de la régulation prudentielle et de la politique de surveillance de l'EBA.
Inquiétudes sur le crédit immobilier
Dans une lettre adressée aux législateurs européens, des dirigeants de banques, dont Crédit Agricole, BPCE et Crédit Mutuel, se déclarent inquiets des impacts de ces règles sur le crédit immobilier. "L'introduction de l'output floor va relever les exigences de capital à un niveau qui ne reflète pas le montant historiquement bas des pertes enregistrées sur ces portefeuilles", soulignent-ils. En l'absence de mécanisme de titrisation comme aux Etats-Unis, ils redoutent que les banques ne soient amenées à resserrer les conditions d'octroi, ce qui pénalisera d'abord les primo-accédants.
Un autre élément reste à trancher : quel ratio de capital les banques françaises devront-elles publier le jour d'entrée en vigueur du texte ? Selon nos informations, l'EBA envisagerait de demander aux banques de publier dès 2025 un ratio dit "fully loaded" qui ne tiendrait pas compte des mesures transitoires sur l'immobilier résidentiel et les clients corporate non notés, afin d'avoir une vision complète de l'impact. Une décision qui risque de "générer de la confusion" dans la communication financière et de "nier tout le travail voté en trilogue quant aux mesures transitoires", avertit Michel Bilger, responsable des affaires réglementaires du groupe Crédit Agricole.
Respecter l'engagement du G20
De manière générale, les banques françaises mettent en garde contre un potentiel effet néfaste sur leur capacité à financer l'économie. Elles rappellent que le mandat initial donné par le G20 au comité de Bâle consistait à ne pas accroître la charge en capital.
Pour Michel Bilger, il faut donc que le superviseur européen en tienne compte lorsqu'il fixera les coussins de fonds propres. Ces derniers "représentent la différence entre le niveau de fonds propres constaté d'une banque et le niveau des exigences minimales requises par son superviseur. Cette distance est en particulier scrutée étroitement par les investisseurs en dettes pour qui elle sert de boussole principale pour juger de la solidité de leurs placements", rappelle-t-il. Isabelle Vaillant rappelle, de son côté, que "les banques ont déjà anticipé la mise en place des accords de 2017". "Une exigence prudentielle sérieuse est toujours profitable aux établissements", veut-elle croire.
-Aurélie Abadie, L'Agefi ed: VLV
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