Comment l’IA a fait vasciller Téléperformance en Bourse

L’intelligence artificielle est-elle l’éléphant dans la pièce qui aura raison de l’opérateur de centres d’appels ?

Jocelyn Jovène 15.03.2024
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TEP

En l’espace de 3 ans, Téléperformance(TEP), un spécialiste de l’externalisation de process (ou « BPO ») comme la gestion des relations clients, la modération de contenus, le recouvrement de créances ou la gestion des demandes de Visas,est passée du statut de star de la Bourse de Paris à celui d’entreprise « has been » menacée par l’émergence de l’intelligence artificielle (IA).

Les dirigeants de l’opérateur de centres d’appels ont beau clamer que l’IA est source d’opportunités et de contrats avec de nombreux clients, le marché doute.

Le titre Téléperformance a chuté de 34% depuis le début de l’année, après une glissade de 41% en 2023 (quand le marché français a bondi de 17%) et de 43% en 2022 (la Bourse de Paris avait alors reculé de 8%).

Au cours actuel et après l’annonce des résultats 2023 et de perspectives prudentes pour 2024, l’action Téléperformance capitalise 5 fois les bénéfices attendus par le marché, contre un P/E moyen de 14,8 fois pour le marché français, soit une décote de 66% !

Le cœur de métier « option gratuite »

« Le marché ne regarde plus les fondamentaux », se désole Thibault François, gérant chez Fastea Capital et actionnaire de l’entreprise. « Les investisseurs semblent anticiper un effondrement des ventes et des marges alors que l’entreprise devrait générer 2 milliards d’euros d’EBITDA, a un bilan solide et affiche une croissance des ventes positive générée de manière organique ou via des acquisitions », ajoute-t-il.

Dans une note du 11 mars, les analystes de Bank of America Securities écrivent : « le marché sous-estime, à notre avis : 1) les activités restantes de TEP, qui connaissent une croissance à un chiffre élevé et permettent d'accroître les marges ; et 2) son profil de génération de liquidités et de légèreté des actifs.

« La valorisation actuelle (<5x/4x EV/EBITDA pour 24E/25E) implique que les solutions vocales sont désormais une option gratuite, de nombreux investisseurs estimant que cette division est la plus menacée par la GenAI » ajoute la banque.

Une histoire ancienne

La question de l’émergence et des conséquences de l’IA pour les opérateurs de centres d’appels n’est pas nouvelle. L’IA est évoquée la première fois par l’entreprise lors de l’annonce du rachat de LanguageLine Solutions en août 2016. Le thème est repris dans le rapport 2016 de l’entreprise.

Dans son rapport 2017 la société indique : « le groupe a comme objectif de se renforcer sur les zones et les secteurs à forte croissance et à haute valeur ajoutée, tout en continuant à innover avec l’intégration des solutions omnicanal et les possibilités offertes par l’intelligence artificielle. »

Pourtant, l’irruption fin 2022 des modèles de langage génératif comme ChatGPT, capables de répondre très rapidement à des questions de manière sophistiquée, met au jour une vague d’innovations appelées à transformer en profondeur un grand nombre de secteurs d’activité.

Le marché se demande donc si Téléperformance sera, comme ses dirigeants l’affirme, un bénéficiaire de cette révolution technologique.

En ce qui concerne les centres d’appels, les conséquences potentiellement négatives de l’IA sont d’ordres multiples : traduction automatique réduisant le besoin d’interprètes humains ; reconnaissance vocale et retranscription de conversations en direct ; personnalisation des chatbots selon le contexte, le public cible ; automatisation de tâches courantes (réponses aux questions fréquemment posées) …

Téléperformance explique justement qu’en adoptant l’IA, le groupe sera en mesure de gagner en efficacité et de proposer des solutions à plus forte ajoutée à ses clients.

Plus de risques que d’opportunités ?

Le marché semble néanmoins considérer que même si l’IA est source d’opportunités, les risques pour le cœur même de l’activité de l’entreprise sont trop grands pour justifier une valorisation supérieure.

L’IA n’aura pas vocation à remplacer intégralement certaines fonctions au sein des entreprises, y compris dans la gestion des relations clients ou pour d’autres types de prestations (interprétariat).

En ouvrant la conférence téléphonique sur les résultats annuels de l’entreprise, Daniel Julien, le PDG de l’entreprise déclarait le 7 mars dernier : « Ce que je peux vous dire à propos de nos activités, c'est qu'il s'agit principalement d'une réponse finale, plus de précision, plus de productivité et la possibilité de gérer de bout en bout des solutions plus complexes. C'est pourquoi nous l'adoptons. »

Si le dirigeant a reconnu que dans certains cas, l’IA a conduit à des réductions d’effectifs, il a ajouté : « nous sommes engagés pour aider les entreprises à réduire les frictions qu’elles ont avec leurs clients et pour maintenir la fidélité à la marque. »

L’IA serait donc un moyen de gagner en efficacité sans supprimer le recours aux services d’une entreprise comme Téléperformance.

En janvier 2017, les analystes du courtier Exane BNP Paribas observaient : « dans l'ensemble, l'IA devrait améliorer la productivité au bénéfice de Téléperformance et de ses clients. Les chatbots peuvent en outre être développés pour des clients et des secteurs spécifiques. Cela devrait favoriser la fidélisation des clients, car il est peu probable qu'ils investissent pour suivre les évolutions technologiques dans ce domaine. »

Sanction excessive

Dans une note récente obtenue par Morningstar, les analystes de Moneta Asset Management, autre actionnaire de l’entreprise, faisaient un constat similaire : « les clients de Téléperformance ne peuvent pas remplacer [certains processus métiers externalisés] s’ils n’investissent pas dans leurs systèmes informatiques et infrastructures cloud. »

Ils observent en outre que les performances commerciales de l’entreprise ont récemment évolué de concert avec d’autres sociétés de conseils, de services informatiques ou spécialistes de l’externalisation de certaines fonctions, comme Accenture ou Capgemini.

« Le ralentissement conjoncturel nous semble beaucoup trop sanctionné chez Téléperformance. L’engouement autour de l’IA générative a creusé un écart invraisemblable de valorisation entre ces sociétés, sans aucun appui tangible dans les chiffres », concluent-ils.

 

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Valeurs citées dans l'article

NomValeurVariation (%)Notation Morningstar
Accenture PLC Class A347,61 USD-2,71Rating
Capgemini SE154,15 EUR0,33Rating
Teleperformance SE82,10 EUR2,52

A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.