Pour TotalEnergies, se coter à New York représente un choix cornélien

En quelques mots fin avril, Patrick Pouyanné a fait trembler toute la place financière parisienne.

Agefi/Dow Jones 14.05.2024
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TTE

PARIS (Agefi-Dow Jones)--En quelques mots fin avril, Patrick Pouyanné a fait trembler toute la place financière parisienne. A trois reprises, le PDG de TotalEnergies a indiqué qu'il réfléchissait à déménager la principale place de cotation de son groupe à New York, tout en gardant une présence secondaire sur la place parisienne. Une décision à ce sujet devrait être prise d'ici à septembre, a précisé l'homme fort du pétrolier, s'attirant les foudres du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, qui a indiqué qu'il se battrait pour que cela n'arrive pas.

Envisager un tel mouvement n'a en réalité rien de très étonnant. Il a d'ailleurs été également imaginé par Shell récemment. Pour le justifier, Patrick Pouyanné met en avant la montée en puissance des investisseurs américains au capital de son groupe depuis une dizaine d'années - ils détiendraient aujourd'hui 40% des actions contre 30% à fin 2012 - au détriment d'actionnaires européens plus frileux pour des raisons environnementales.

Surtout, le patron de TotalEnergies a rappelé les écarts de valorisation qui existent entre les pétroliers américains et européens. "Nous avons exactement les même résultats trimestriels qu'une entreprise comme Chevron, notre valorisation en Bourse est de 200 milliards de dollars alors qu'elle est de 300 milliards pour Chevron", a-t-il ainsi expliqué aux sénateurs lors d'une audition le 29 avril. Selon les estimations de Factset, le groupe français affiche en effet une décote de 35% à 40% par rapport à Exxon Mobil et Chevron alors qu'il enregistre des performances financières relativement similaires.

Un effet boursier pas si évident

Le raisonnement semble imparable : d'un point de vue d'une pure rationalité économique, TotalEnergies devrait transférer sa cotation principale à New York. Sauf que le diable se cache dans les détails. L'écart de valorisation entre le groupe et ses concurrents américains ne s'explique que partiellement par la place boursière. La stratégie de TotalEnergies dans les énergies renouvelables tout comme son exposition à l'environnement réglementaire européen et certaines particularités de son modèle économique expliquent une large part de la décote. Kim Fustier, responsable de la recherche pétrole et gaz chez HSBC, estime ainsi le potentiel de revalorisation à "environ 15%" et se demande s'il "vaut la peine de traverser l'Atlantique".

Henri Patricot, analyste chez UBS, se montrait également sceptique dans une note publiée début mai. Il remarquait notamment que le groupe ne devrait pas pouvoir intégrer de grands indices américains en raison du maintien de son siège social en France. Pour rejoindre le S&P 500, une société doit en effet être domiciliée aux Etats-Unis ou "avoir une majorité ('plurality') de ses actifs et générer une majorité de ses revenus aux Etats-Unis", indique le cabinet Skadden sur son site internet. Compte tenu de l'importance prise par les fonds indiciels cotés (ETF), ne pas intégrer l'indice le plus répliqué par ces produits limiterait mécaniquement la revalorisation espérée.

En cas de déménagement, TotalEnergies ne devrait pas pour autant être exclu des indices CAC 40 ou Euro Stoxx 50 à moins que les volumes échangés sur l'action en Europe ne se réduisent à peau de chagrin, ce qui semble peu probable.

La loi de la SEC

En déplaçant sa cotation principale à New York tout en demeurant une société franco-européenne, TotalEnergies pourrait toutefois cumuler les contraintes de deux mondes. "Le droit des sociétés français s'appliquera toujours à l'entreprise, que ce soit au niveau des règles régissant le conseil d'administration ou celles de l'organisation de l'assemblée générale, qui devrait d'ailleurs rester en France", explique Paul Oudin, du cabinet Vermeille Avocats. Mais, en plus, le groupe devra se conformer aux exigences de la Securities and Exchange Commission (SEC), l'autorité américaine des marchés, "qui est beaucoup plus dure que l'Autorité des marchés financiers (AMF)", selon Paul Oudin.

TotalEnergies est, certes, déjà soumis aux règles de la SEC puisqu'il est coté aux Etats-Unis via des certificats de dépôts américains (ADR), mais ses obligations sont limitées, car les ADR ne représentent qu'entre 8% et 9% du capital et moins de 25% des volumes échangés. Si le groupe décide d'augmenter leur poids au-delà de 50% ou, plus probablement, d'opter pour une cotation directe afin de faire de New York sa place de cotation principale, il "devra appliquer l'ensemble des règles du gendarme américain", prévient l'avocat.

Le pétrolier devrait alors se montrer plus souple sur le dépôt de résolutions par les actionnaires. "Aux Etats-Unis, un actionnaire détenant entre 2.000 et 25.000 dollars d'actions, selon la durée de détention, peut déposer des résolutions et elles sont presque toutes consultatives", souligne le spécialiste de Vermeille Avocats, qui est par ailleurs conseil d'un regroupement d'actionnaires ayant récemment décidé de contester en justice la décision de TotalEnergies de ne pas inscrire leur résolution consultative à l'ordre du jour de son assemblée générale. "Il serait également plus facile pour les actionnaires de monter des class actions", avertit Paul Oudin. Sans compter les obligations en matière de publications financières, qui dépendront de la SEC et non plus de l'AMF, et les coûts liés à la mise en conformité avec ces nouvelles règles. Ces coûts "sont plus élevés aux Etats-Unis, notamment car les avocats américains sont plus chers et les obligations de 'disclosure' locales sont plus lourdes à certains égards", indique Paul Oudin.

Au bout du compte, ces contraintes supplémentaires, associées à un gain boursier qui pourrait se révéler décevant, ont toutes les chances de pousser le conseil d'administration à renoncer à ce projet. A moins que Patrick Pouyanné ne déduise que le véritable frein au développement de son groupe tient à la nationalité de son siège social. Ce qui constituerait un tremblement de terre d'une autre magnitude.

-Johann Corric, L'Agefi ed: VLV

Agefi-Dow Jones The financial newswire

(END) Dow Jones Newswires

 

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