Déficits, dette publique: pourquoi certains investisseurs évitent la France

Les fondamentaux de la France justifient un coût de la dette qui devrait être plus élevé, selon certains investisseurs.

Jocelyn Jovène 27.05.2024
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Les investisseurs français et internationaux pourraient-ils s’alléger en obligations émises par le Trésor et provoquer une envolée des taux et du coût de la dette de la France ?

Pour l’heure, le risque semble très faible mais depuis quelques mois, les regards sont braqués sur la situation des finances publiques de la France. Une situation appelée à perdurer tant les ajustements nécessaires pour assainir les finances publiques sont significatifs.

Dérapage du déficit public

Pour cause, l’annonce fin mars par l’institut national de la statistique (INSEE) que le déficit public de la France avait atteint 154 milliards d’euros en 2023, soit 5,5% du PIB contre 4,9% prévu dans la loi de finances et 4,8% en 2022.

Un dérapage de près de 17 milliards d’euros, conduisant le ministre de finances, Bruno le Maire, à s’alarmer de l’état des finances du pays dont il a pourtant la charge depuis 2017 et de chercher de nouvelles pistes d’économies. Et un coup de massue tombé sur la tête des dirigerants français, Emmanuel Macron en tête.

De quoi relancer un débat qui n’est pas nouveau, mais qui prend une acuité particulière dans un contexte de taux d’intérêt élevés, de ralentissement économique et… d’élections européennes où la majorité présidentielle est mal en point.

Qu’en pensent les investisseurs, français et internationaux ? Nous avons interrogé une économiste et trois gestionnaires d’actifs français et étrangers pour comprendre comment ils évaluent les finances publiques du pays, le potentiel de l’économie française et les risques de détérioration de l’appétit pour la dette émise par l’Etat français.

L’enjeu central : ramener la dette publique sous contrôle

Le message principal qui ressort de nos entretiens est qu’il est crucial pour la France de ramener son ratio dette/PIB à son niveau d’avant la crise du COVID (97,9% du PIB en 2019 selon l’INSEE), donc avant le « quoi qu’il en coûte » de la période 2020-2022.

Un message également convoyé par le Fonds Monétaire International qui, dans sa dernière évaluation de l’économie française, écrit : « des efforts supplémentaires substantiels seront nécessaires à moyen terme, à partir de 2024, pour renforcer les finances publiques. Les réformes des systèmes de retraite et d'indemnisation du chômage ont commencé à porter leurs fruits. Les autorités devraient continuer à faire avancer leur ambitieux programme structurel, en soutenant l'emploi et en augmentant la productivité. »

L’autre message partagé par différents observateurs est que si l’Etat français n’est pas capable de réduire son train de vie, c’est la crédibilité des pouvoirs publics qui risque d’en pâtir, ce qui pourrait in fine se traduire par un renchérissement du coût de la dette.

Ceci se manifesterait notamment par une augmentation du spread (l’écart de rendement) entre les obligations du Trésor français et le Bund allemand que les investisseurs demandent pour acheter les obligations émises par l’Etat français.

Actuellement à 50 points de base, il est jugé bas mais ne reflète pas la situation des finances publiques du pays qui est loin d’être attrayante.

En théorie, et au regard d’une situation qui mettra un certain temps à se redresser, ce spread devrait être plus élevé, mais est maintenu à un niveau bas grâce à certains facteurs techniques, comme la liquidité de la dette française et la présence d’acheteurs systématiques.

« Nous ne prévoyons pas d’envolée des spreads car il existe des ‘acheteurs naturels’ de dette française, notamment les assureurs français, et la France est un pays où l’épargne est à des niveaux élevés », estime Marie-Anne Allier, gérante au sein de l'équipe taux chez Carmignac Gestion. « Pour certains investisseurs internationaux, la dette française est perçue comme très liquide par rapport à d’autres émetteurs, ce qui est un atout », ajoute-t-elle.

Ces éléments « techniques » sont un plus, mais ils ne suffiront sans doute pas.

Les raisons du déficit public : un problème ancien

Les déficits publics sont une constante depuis les années 1970, rappelle Marie-Anne Allier. « La détérioration des finances publiques n’est pas récente : depuis 1973, la France n’a que très rarement dégagé d’excédent primaire », précise-t-elle.

L’une des raisons des difficultés de la France de maîtriser ses déficits, voire de réduire son endettement, est la faiblesse de la croissance économique.

Depuis les années 1980, les gouvernements successifs, sous pression des autorités de Bruxelles et de la BCE, ont conduit une politique de désinflation compétitive, visant à réduire les coûts du travail, se focalisant sur la compétitivité-prix plutôt que sur la montée en gamme des produits fabriqués en France et de la formation des salariés.

La croissance potentielle de l’économie française n’en a guère profité. Actuellement elle est estimée à 1,2%-1,3%, un niveau « loin d’être suffisant pour réduire les déficits », souligne Marie-Anne Allier.

L’affaiblissement de la croissance économique l’an dernier a été l’une des raisons du dérapage du déficit public, note Charlotte de Montpellier, économiste chez ING : « le dérapage des finances publiques en 2023 s’explique notamment par l’affaiblissement de la croissance de l’économie française sur la deuxième partie de l’année. » 

Cette année, le gouvernement prévoit un déficit public de 5,1% avec une croissance du PIB de 1%. En 2025, il table sur une croissance de 1,4% et un déficit public de 4,1%.

Pourquoi certains gérants sous-pondèrent la France dans les portefeuilles obligataires

Ces fondamentaux n’incitent guère les investisseurs nationaux et étrangers à acheter de la dette.

Tous les gérants interrogés ont d’ailleurs indiqué qu’ils étaient « sous-pondérés » en dette française avec des taux de détention très en-deçà des indices de référence – certains gérants détiennent environ 5% dette française alors que le poids de la France dans les indices est plutôt de 20%.

C’est le cas de Patrick Barbe, responsable de la gestion obligataire pour l’Eurpoe chez Neuberger Berman : « ce qui nous rendrait plus positif serait que la France ramène sont niveau de dépenses publiques (en % du PIB) au niveau d’avant COVID et sur la poursuite de l’amélioration du profil de croissance économique. »

David Zahn, responsable de la gestion obligataire Europe chez Franklin Templeton abonde : «  nous sous-pondérons la dette française dans nos fonds car nous considérons que la France a toujours eu du mal à assainir ses finances publiques. Le déficit budgétaire est relativement élevé et nous ne voyons pas beaucoup ‘d'appétit’ [des pouvoirs publics] pour le réduire de manière significative. »

Quels leviers pour consolider les déficits ?

«  Nous pensons que la France dispose d'un certain nombre d'options pour se consolider : 1. les dépenses sociales doivent être réformées ; 2. le déficit budgétaire doit revenir à 1 ou 2 % du PIB, ce qui nécessitera des réductions de dépenses car il n'est pas possible d'augmenter les impôts », note David Zahn.

« Si la France veut être au rendez-vous des 3% de déficit public en 2027, il va falloir agir sur les dépenses mais un débat sur la fiscalité devra nécessairement se tenir » pense pour sa part Charlotte de Montpellier chez ING.

Au-delà, la politique de l’offre conduite depuis l’élection d’Emmanuel Macron doit contribuer à redresser la croissance potentielle, mais elle constitue un obstacle à court terme.

« Depuis 2017, les politiques de l’offre conduites par les différents gouvernements ont cherché à accroître les recettes publiques plutôt qu’à réduire les dépenses. A court terme, ces actions ont plutôt tendance à peser sur la productivité, donc sur le potentiel de la croissance », note Marie -Anne Allier de Carmignac.

« L’amélioration de la croissance potentielle dépend de deux facteurs : le nombre d’heures travaillées (et le taux de participation à la population active) et la productivité. Cette dernière constitue un levier important puisqu’elle représente environ les deux tiers de la croissance potentielle, mais c’est un paramètre difficile à faire évoluer car il est influencé négativement par le vieillissement démographique et l’arrivée d’une population active peu productive » prévient Charlotte de Montpellier.

Ces actions de politique économique vont dans le bon sens, mais mettront un certain temps à produire leurs effets sur l’économie. Des mesures plus radicales pourraient donc être inévitables à court terme, au risque d’affecter le statut de la France au regard des investisseurs internationaux.

« La France a longtemps été considérée comme une valeur refuge, mais elle pourrait devenir un ‘noyau mou’ si rien ne se passe sur le plan fiscal » avertit toutefois David Zahn.

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.