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PARIS (Agefi-Dow Jones)--C'est un créancier discret qui n'aime pas la lumière. La Banque centrale européenne (BCE) s'est retrouvée bien malgré elle sous le feu des projecteurs, mi-mai, lorsqu'il est apparu qu'elle détenait jusqu'à 20% de la dette obligataire d'Atos. Un investissement promis à une douloureuse restructuration, alors que David Layani (Onepoint) et Daniel Kretinsky (EPEI) ont jusqu'à ce vendredi minuit pour remettre leurs offres de reprise du groupe informatique en difficulté. Au travers du cas Atos, c'est la gestion du portefeuille obligataire de la BCE qui se trouve exposée au grand jour.
La banque centrale est à la fois le plus gros détenteur de dette corporate cotée en Europe et un investisseur dormant. C'est en juin 2016 que l'institution de Francfort, alors présidée par Mario Draghi, décide d'étendre à la dette des entreprises son programme d'assouplissement quantitatif. La BCE se met à acheter massivement des obligations corporate, jusqu'en décembre 2018, puis relance ses emplettes de novembre 2019 à juin 2022, à la fois sur le marché primaire et secondaire. Pendant un an, elle continue encore à réinvestir une partie des tombées de son portefeuille, avant de cesser toute intervention à partir de juillet 2023.
1.800 lignes en portefeuille
L'encours de ce "Corporate Sector Purchase Programme" (CSPP), voué à diminuer au fil des remboursements, représentait la bagatelle de 310 milliards d'euros à la date du 24 mai, soit un peu plus de 10% des achats réalisés dans le cadre de la politique d'assouplissement quantitatif. La BCE publie l'intégralité des lignes de ce portefeuille, mais pas les montants correspondant à chacune. On y trouve aujourd'hui pas moins de 1.800 souches obligataires d'émetteurs belges, italiens, espagnols, allemands et bien sûr français, comme EDF, Engie ou Orange. Et trois obligations Atos d'échéance 2025, 2028 et 2029, acquises à l'époque où la société de services informatiques, encore notée en catégorie "investisseur", était éligible au programme. La BCE s'interdisait d'investir dans des signatures de moins bonne qualité ("high yield").
Ces deux dernières années, la situation financière d'Atos s'est rapidement dégradée, de même que sa note, tombée à "CCC-", à un cran du défaut. Les trois obligations cotent à environ 22% de leur valeur nominale. Ce niveau correspond, selon les calculs des analystes de CreditSights début mai, au recouvrement que pourraient espérer les créanciers avec l'offre de Onepoint, moins défavorable pour eux que celle de Daniel Kretinsky. Mais alors, pourquoi la Banque centrale européenne n'a-t-elle pas réagi durant tout ce temps ?
"La BCE n'est pas équipée pour gérer ce genre de dossier comme le serait un fonds obligataire ou distressed", rappelle un spécialiste des restructurations de dette. "Ses équipes, plutôt habituées à intervenir sur le marché des emprunts d'Etat, ont exécuté un programme de rachat d'actifs conformément aux règles définies par l'institution, mais elles ne font pas tourner les portefeuilles", poursuit-il. Ces règles internes apparaissent d'ailleurs peu lisibles aux yeux des professionnels. Exemple : "l'Eurosystème peut choisir de vendre ses positions en cas de perte d'éligibilité, par exemple en cas de dégradation sous l'exigence de notation de qualité de crédit, mais il n'est pas tenu de le faire", explique l'institution sur son site internet au sujet du CSPP. Interrogée par L'Agefi, la BCE n'a pas souhaité s'exprimer.
En marge des négociations
La banque centrale est, a fortiori, encore moins outillée pour gérer une "situation spéciale" comme Atos, dont l'impact financier reste de toute façon négligeable si on le compare à la taille de son bilan. "C'est un créancier institutionnel public qui ne participe pas aux négociations et à la structuration des opérations, contrairement à un créancier privé", poursuit le spécialiste du restructuring. "La BCE se décidera à la toute fin du processus, pour voir si ses contraintes internes lui permettent de détenir les instruments issus de la restructuration d'Atos ou l'obligent à vendre à des tiers", ajoute-t-il.
La BCE avait déjà voté avec ses pieds dans un dossier lui aussi haut en couleur, celui du distributeur de meubles Steinhoff. Elle avait souscrit en juillet 2017 à une émission obligataire du groupe sud-africain coté à Francfort, juste avant que ce dernier ne soit éclaboussé par un scandale comptable. La banque centrale avait liquidé sa position dès la fin d'année, préférant prendre une moins-value sans attendre l'inéluctable restructuration de la dette du groupe.
"Il est très probable qu'une fois encore, la BCE cède très prochainement ses titres, avec un regard essentiellement monétaire et financier plus que politique, bien que l'on puisse imaginer que l'aspect stratégique d'Atos pour la France, puisse conduire à inclure, au moins temporairement et en amont de la cession, la BCE dans une discussion avec l'Etat français", notait le 24 mai Matthieu Bailly, PDG d'Octo Asset Management. Selon le gérant, il est probable que la BCE apporte ses 20% à un groupe de créanciers ou à de futurs actionnaires plutôt que de les vendre sur le marché.
-Alexandre Garabedian, L'Agefi ed: VLV
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