Législatives 2024: « L’enjeu, c’est l’Europe » - Carmignac

Marie-Anne Allier estime que une augmentation des désunions affectara la volonté des étrangers d’investir en Europe.

Jocelyn Jovène 05.07.2024
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Marie Anne Allier Carmignac

(Cet entretien a été mené en visioconférence jeudi 4 juille).

A l'avant-veille du second tour des élections législatives, Marie-Anne Allier, gérante au sein de l'équipe taux de Carmignac Gestion, examine les marchés obligataires français, les risques de dégradation de la note de crédit et l'avenir de l'union politique et économique en Europe.

Morningstar: Quelle lecture faites-vous de l’évolution des taux français et du spread avec le Bund ?

Marie-Anne Allier : « De mon point de vue, il ne s’est rien passé de  nouveau dans les quinze derniers jours. Le déficit français est structurel et cela fait des décennies que cela dure. Même depuis 2017, il ne s’est pas amélioré. Sa note de crédit (AA) est généreuse. Ce qui arrive à la France montre qu’elle n’est pas dans une bonne situation budgétaire et l’annonce d’élections anticipées ne change pas grand-chose à cet état de fait..

On était dans une situation où un spread à 40 points de base par rapport au Bund n’était pas vraiment justifié. Un spread de 65 points de base l’est sans doute davantage compte tenu des fondamentaux (dette, déficit…).

Cela dit, la réaction des marchés au moment de l’annonce de la dissolution et dans les premiers moments où les marchés redoutaient une victoire du NFP est restée somme toute mesurée. Cela les a affolés mais dans des proportions modérées. Les marchés restent sur un principe simple ; lorsque vous avez besoin d’emprunter, votre créancier décide de ce que vous pouvez faire.

La France a besoin d’investisseurs qui nous prêtent et ce tant que le pays ne sera pas capable de faire des budgets équilibrés.

Les marchés se disent, peut-être à tort, qu’à la fin des fins ils empêcheront un futur gouvernement de conduire des politiques déraisonnables. J’observe que même dans le scénario d’une victoire du NFP, pendant un temps envisagée, le spread n’a pas bondi vers les 150 points de base [observés par exemple pendant la crise de la zone euro].

A l’étranger, bien plus qu’en France d’ailleurs, ce qui inquiète c’est l’impact sur l’Europe. Le fait que la France soit moins motrice, que l’Europe soit moins fédéraliste, inquiète plus que le cas précis de la France. C’est donc une histoire de taux plus que de spread. »

Quel serait le scénario le moins dommageable pour la gestion des finances publiques et la manière dont les investisseurs vont réagir ?

« Sur la réaction des marchés, en instantané, une majorité absolue du RN est plus dommageable lundi prochain, avec la crainte que tout leur programme économique soit appliqué.

A moyen terme, je pense que c’est plutôt une majorité de blocage qui serait problématique. Dans ce cas, et dès le Projet de Loi de Finances (PLF) en septembre, toute l’action politique risque d’être bloquée. L’immobilisme, et potentiellement l’instabilité politique, poseront alors un risque pour la croissance.

Sur la base d’autres expériences passées (Espagne, Belgique), j’observe que dans les situations ‘compliquées’, les marchés préfèrent les statu quo. »

Quel est le risque d'une baisse de la cote de crédit ?

Doit-on anticiper une prime de risque additionnelle ?

« On serait un peu dans le cas de l’Italie des dernières décennies. L’instabilité politique entraîne par à coup des envolées sur les spreads jusqu’à ce qu’une intervention de la BCE ou que la chute du gouvernement ne ramènent le spread à un niveau plus raisonnable.

Mais j’ai du mal à imaginer qu’on passe du niveau d’équilibre actuel entre 40 et 60 points de base à un nouvel équilibre beaucoup plus élevé, sans situation de « crise ».

De mon point de vue, la dette française avec un spread de 40 points de base reste trop chère. »

Le prochain gouvernement devra présenter le budget 2025 d’ici fin septembre, avant que les agences de notation Fitch et Moody’s ne se prononcent sur une éventuelle révision de leur note. Quel est le risque d’un nouvel abaissement de la note de crédit après celle de S&P ?

« Un des arguments des agences pour justifier leur rating était la stabilité politique française. L’absence d’un gouvernement stable sera vue négativement et pèsera sur la notation.

Mais je pense que les agences attendront pour changer leur note. On aura probablement un ‘outlook’ négatif puis un abaissement qui pourrait survenir dans les 12 mois, sauf si un programme économique irresponsable venait à être mis en place. Dans ce cas, le changement de perspectives pourrait intervenir dans les 3 ou 4 mois. »

Pourrait-on assister à un mouvement de vente panique comme en 2017 ?

« C’est difficile à dire. L’année 2017 peut être vu comme un point de référence. Mais il y a quelques différences majeures. A l’époque par exemple, l’envolée des spreads avait duré très peu de temps (le résultat du 1er tour de l’élection avait suffi à ramener le calme). Surtout, les taux étaient proches de 0 %, ce qui pour un investisseur rendait la hausse des spreads plus ‘appétissante’ qu’aujourd’hui avec des taux à 3 %. »

L'unité politique européenne en jeu

Vous évoquiez l’enjeu européen de la situation française. Pourquoi est-ce important ?

« Ce qui semble inquiéter le plus les étrangers, ce sont les répercussions sur l’Europe. Si l’unité européenne se désagrège petit à petit, il n’y a pas que la France qui sera concernée par les problèmes à venir. Le fonctionnement des institutions européennes n’est déjà pas facile quand on est à peu près unis sur les objectifs.

Une augmentation des désunions ou une moindre volonté d’intégration auraient sans doute des conséquences sur la confiance des agents économiques et sur la volonté des étrangers d’investir en Europe. C’est donc toute la zone euro qui en souffrirait.

Si on ne partage rien, si on n’est plus d’accord sur rien, comment fonctionner alors que l’on partage la même banque centrale, la même monnaie ?

Dans une telle situation, la première réaction des investisseurs sera une réaction de méfiance, ce qui pourrait peser sur l’euro et se traduirait par plus d’inflation importée. Cela entrainerait des situations plus compliqués et qui iront bien au-delà du problème franco-français. »

 • Cet entretien a été édité pour plus de clarté

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.