PARIS (Agefi-Dow Jones)--Le clan Bolloré doit se battre sur tous les fronts.
Après le camouflet de l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur le choix d’Accuracy comme expert indépendant dans le cadre de l’offre publique de retrait sur trois de ses filiales, le conglomérat familial doit faire face à la fronde d’un actionnaire minoritaire dans le cadre de projet de scission de Vivendi.
Le gestionnaire activiste de fonds alternatifs Ciam, investi depuis 2018 dans Vivendi et détenant actuellement moins de 1% du capital, vient de saisir l’AMF “pour obtenir le respect des droits des actionnaires”. Il demande le lancement d’une offre publique de retrait (OPR) sur Vivendi avant de procéder à la scission annoncée en quatre entités.
Pourquoi le groupe Bolloré devrait-il lancer une OPR sur Vivendi ?
“La réorientation de l’activité sociale de Vivendi et l’apport de ces filiales essentielles à d’autres entités imposent le lancement de cette offre de retrait”, estime Catherine Berjal, associée et présidente de Ciam.
L’article 236-6 du règlement général de l’AMF stipule qu’une personne physique ou morale contrôlant une société informe l’AMF quand elle décide “de la cession ou de l’apport à une autre société de la totalité ou du principal des actifs”.
Alors, “l’AMF apprécie les conséquences de l’opération prévue au regard des droits et des intérêts des détenteurs de titres de capital ou des détenteurs de droits de vote de la société et décide s’il y a lieu à mise en ouvre d’une offre publique de retrait.”
Contactée par L’Agefi, l’AMF s’est refusée à tout commentaire. Pour sa part, Bolloré n’a pas répondu à notre sollicitation.
En l’espèce, Vivendi - amputé de Canal+, coté à Londres, d’Havas, coté à Amsterdam, et de Louis Hachette Groupe (éditions), coté sur Euronext Growth Paris - ne serait plus qu’une société de participations, avec principalement UMG.
La valeur des actifs de Vivendi est autour de 16 milliards d’euros, a déclaré aux Echos Yannick Bolloré, le président du conseil de surveillance.
Puisque “Vivendi est valorisé 10 milliards actuellement, pourquoi le groupe Bolloré ne propose pas une offre de retrait sur la base d’une valorisation médiane de 13 milliards ?” s’interroge Catherine Berjal.
Une information “exacte, précise et sincère”
En outre Ciam rappelle que l’AMF a pour mission de veiller à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés, nécessitant une information “exacte, précise et sincère”.
Si la volonté de Bolloré, annoncée en décembre 2023, de réduire la décote de conglomérat afin de “libérer pleinement le potentiel de développement de l‘ensemble de ses activités” a été largement saluée par le marché, l‘annonce du choix des places de cotation l’été dernier a refroidi les ardeurs des plus optimistes.
“Le point commun de ces trois places de cotation est de permettre de déroger aux règles relatives aux offres publiques, notamment lors du franchissement et du dépassement du seuil de 30%”, souligne Ciam.
Il ajoute que seul le groupe Bolloré bénéficierait de ces cotations “lui permettant d’éluder la réglementation applicable aux offres publiques obligatoires tout en renforçant son contrôle des activités de Vivendi.”
La plus grande difficulté à lancer une OPA sur ces valeurs et donc la moindre protection des minoritaires pèseront sur la valorisation.
La scission pourrait alors répliquer, voire amplifier, la décote actuelle de holding, au lieu de la réduire, craint Ciam.
“Le marché devrait exprimer une réelle valeur des actifs et non une vraie décote”, résume Catherine Berjal.
Les actionnaires “pâtiront d’une triple décote, poursuit Catherine Berjal. Celle due au contrôle par le groupe Bolloré, celle due à la plus faible liquidité au regard de la plus petite taille de chacune des nouvelles entités, celle due au régime de la fondation néerlandais (stichting), et celle liée au moindre suivi par les analystes de petites sociétés, le tout entraînant une décote importante. La décote de holding va donc se répercuter, voire s’amplifier sur chaque entité cotée”.
Pourquoi ne pas avoir coté ces trois sociétés sur le marché réglementé d’Euronext Paris, avec éventuellement une double cotation, notamment à Londres pour Canal+ afin de rejoindre le secteur audiovisuel ? “Cette solution aurait été la plus respectueuse des minoritaires, poursuit Catherine Berjal. Alors que la proposition actuelle crée un précédent fâcheux et nuit à l’attractivité de la place de Paris.” Or, la place boursière de Paris est bien plus importante qu’Amsterdam, et Londres n’est plus dans l’Union européenne.
Majorité des deux tiers à atteindre
Qui décidera de cette scission ? Les actionnaires de Vivendi, réunis en assemblée générale le 9 décembre prochain à Paris. Sur la base du quorum de 70% de l’AG d’avril dernier, le groupe Bolloré, avec ses 29,9% de droits de vote, contrôlerait près de 43% de l’assemblée.
La scission d’Havas, par distribution exceptionnelle en nature d’actions Havas NV ne nécessite qu’une approbation à la majorité simple de 50%, tandis que celles de Canal+ et de Louis Hachette Group par apport partiel d’actifs nécessitent la majorité qualifiée des deux tiers des droits de vote.
Toutefois, chacune des trois résolutions est conditionnée à l’approbation des deux autres. Autrement dit, le vote de la scission d’Havas à 50% nécessite l’approbation des scissions de Canal+ et de Louis Hachette Group aux deux tiers.
Parmi les actionnaires qui pourraient faire basculer l’assemblée figurent la Société Générale avec 6,3% des droits de vote et les salariés de Vivendi avec 3,8%, selon la composition du capital de Vivendi fin 2023.
Tout dépend des attentes des investisseurs: sortir, car la structure est trop complexe à gérer ou par crainte du maintien d’une décote élevée, ou au contraire profiter d’une faible valorisation pour se renforcer.
Il reste aussi la possibilité que le groupe Bolloré n’ait pas d’autre choix que de finalement retirer Vivendi de la cote parisienne en cas de vote négatif.
Les journées investisseurs de Canal+ et d’Havas les 18 et le 19 novembre prochains devraient aider à éclairer les lanternes.
-Bruno de Roulhac, L’Agefi. ed: JDO
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Le titre de cette dépêche a été modifié par Morningstar.
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