Pourquoi les fabricants européens de spiritueux sont attractifs en Bourse ?

Les actions des principaux fabricants de spiritueux affichent des décotes très significatives, malgré l’espoir d’un rebond des profits en 2025.

Jocelyn Jovène 20.11.2024
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En moins de deux ans, les actions des principaux fabricants européens de spiritueux ont connu une vague de sous-performance massive, reflet des difficultés conjoncturelles d’un secteur confronté au ralentissement de la demande en Chine et à la lente réduction de stocks accumulés aux Etats-Unis.

Une industrie dépendante des Etats-Unis et de la Chine

Après plusieurs trimestres marqués par des résultats décevants, quand les résultats des fabricants de spiritueux arrêteront-ils de se détériorer ?

« Il est difficile de dire quand exactement le point bas des résultats se produira, mais je m’attends à ce que les grands acteurs renouent avec la croissance d’ici 2025 », estime Verushka Shetty, analyste chez Morningstar.

« Nous assistons à un fort ralentissement après le boom post-COVID, mais je pense que les leaders (Diageo et Pernod Ricard) sont résistants et que l’industrie a prouvé qu’elle pouvait rebondir dans un délai d’un à deux ans », ajoute-t-elle.

Pour que le rebond des profits des principaux sociétés du secteur, « il faut d’abord que les marchés américain et chinois se stabilisent », estime l’analyste. « Une fois que ces marchés se seront redressés, je pense que les entreprises de boissons seront à nouveau en mesure d’atteindre leurs objectifs à moyen terme », conclut-elle.

Après des chiffres du troisième trimestre ont confirmé des difficultés persistantes, l’élection de Donald Trump, adepte du protectionnisme commercial et des barrières tarifaires, à la présidence américaine a pesé ces derniers jours sur les cours des fabricants de spiritueux.

« Les sociétés de spiritueux ont tendance à subir les dommages collatéraux des guerres commerciales », estime Verushka Shetty. « Cependant, nous ne voyons pas d’impact à long terme sur les bénéfices, grâce au pouvoir de fixation des prix », tempère-t-elle.

Après des mois de sous-performence, les actions du secteur affiche des décotes de valorisation historiquement élevées.

« Le secteur devrait traditionnellement bien se comporter dans un environnement de baisse des taux, mais les fondamentaux demeurent faibles », notaient les analystes d’UBS dans une note publiée le 16 octobre.

L’avertissement récent de Rémy Cointreau, un spécialiste des cognacs haut de gamme, illustre les difficultés que traversent les principaux fabricants de spiritueux en Europe.

Une lente stabilisation aux Etats-Unis

La normalisation de deux des plus importants marchés mondiaux pour les spiritueux pourrait néanmoins prendre encore un peu de temps.

Selon une étude publiée par Deutsche Bank en septembre, la lente reprise attendue du marché des spiritueux aux Etats-Unis serait moins lié à un effet de génération qu’à la percée des boissons prêtes à boire (« Ready to Drink »), qui prennent des parts de marché à la plupart des catégories, à l’exception de la tequila et des liqueurs.

Ainsi le marché américain des spiritueux, dont la croissance était de 2,9% par an en moyenne en volume entre 2000 et 2019, a ralenti à 1,7% par an entre 2019 et 2023.

A l’inverse les boissons prêtes à boire ont vu leur croissance s’accélérer au cours de la même période, passant de 7,7% de progression annuelle entre 2000 et 2019 à 17,2% par an entre 2019 et 2023.

« Depuis 2021, les « cocktails préparés » ont gagné des parts de marché dans les ventes de spiritueux », écrivent les analystes de la banque dans leur étude.

« Pour ramener la croissance des spiritueux et des boissons prêtes à boire vers leur tendance nécessiterait environ deux années de croissance quasi nulle, ce qui signifie que la normalisation du marché pourrait persister jusqu’à la fin de l’année prochaine », estime la banque.

L’inconnue chinoise

La situation du marché chinois n’est guère plus favorable à court terme. Lors de l’annonce de ses résultats annuels, fin août, le groupe Pernod Ricard évoquait un « contexte macroéconomique difficile pesant sur la demande des consommateurs » en Chine.

De fait, la confiance des consommateurs est en berne, reflet d’un secteur immobilier qui souffre et d’une bourse chinoise qui demeure volatile.

A cela s’ajoute l’incertitude politique dans les relations commerciales avec l’Europe.

La Chine n’a pas hésité à répondre aux barrières tarifaires imposées par l’Europe sur ses véhicules électriques en annonçant des taxes supplémentaires sur les exportations de cognac, décision qui menace avant tout les producteurs français.

Cette situation a d’ailleurs conduit plusieurs sociétés du secteur à se montrer très prudente pour les trimestres à venir. En annonçant son chiffre d’affaires semestriel à fin septembre, Rémy Cointreau évoquait pour le reste de son exercice fiscal une « détérioration séquentielle des ventes au second semestre » dans la région Asie-Pacifique par rapport à la période avril-septembre 2024.

4 valeurs attrayantes

Dans ce contexte, sur la base des estimations de juste valeur de Morningstar, il ressort que les deux leaders mondiaux du secteur, Diageo et Pernod Ricard, se traitent avec de fortes décotes par rapport à leur estimation de juste valeur. Ces deux sociétés disposent en outre d’un rempart concurrentiel étendu. Rémy Cointreau, autre société ayant un rempart concurrentiel, se traite également avec une décote de valorisation importante.

Nos vues sur les 4 grandes valeurs du secteur des spiritueux en Europe

Diageo






« Diageo, société étendue, a terminé son exercice fiscal 2024 en juin et a publié des résultats préliminaires plutôt maigres pour l’ensemble de l’année, largement conformes au consensus compilé par l’entreprise. Malgré un affaiblissement général des volumes, Diageo a réussi à étendre légèrement ou à conserver sa part de marché mondiale dans plus de 75 % des pays où elle est présente, sur la base des ventes nettes.

La société a réalisé de solides économies de productivité et d’importantes rentrées de fonds, ce qui a permis d’augmenter de 5 % le dividende proposé pour l’ensemble de l’année. La direction reste positive quant à l’inversion du sentiment des consommateurs et au retour de la croissance organique des ventes nettes. »

Pernod Ricard






« Pernod Ricard a publié ses résultats du premier trimestre de l’exercice 2025, qui sont inférieurs à nos attentes. Bien que les chiffres soient faibles, la direction a réitéré ses perspectives à moyen terme d’une croissance organique du chiffre d’affaires de 4 à 7 % et d’une augmentation de la marge d’exploitation organique d’environ 55 points de base. Nous considérons que le ralentissement est cyclique plutôt que structurel et nous prévoyons un retour à la croissance du chiffre d’affaires au cours de la prochaine année fiscale. Nos prévisions à long terme restent inchangées et nous maintenons notre estimation de la juste valeur à 185 euros. Bien que les actions actuelles se négocient en dessous de notre estimation de juste valeur intrinsèque, nous pensons que le caractère cyclique de la catégorie signifie que les actions ne sont pas susceptibles de fournir les qualités défensives que les investisseurs recherchent dans les actions de consommation de base. »

Rémy Cointreau






« Nous pensons que Remy Cointreau dispose d‘un rempart concurrentiel étroit basé sur des actifs incorporels dans la catégorie la plus importante de la société, le cognac. Les avantages concurrentiels dans l’industrie des boissons varient selon les catégories, et si certaines ont été vulnérables aux nouveaux entrants ces dernières années, nous pensons que les spiritueux sont généralement mieux protégés de la récente vague de nouveaux entrants que la plupart des autres catégories de biens de consommation de base. L’obligation de vérification de l’âge au point de vente a limité la croissance du canal du commerce électronique, qui présente des barrières à l’entrée plus faibles que les canaux de vente au détail traditionnels, à moins de 5 % du volume total des ventes au détail, selon Euromonitor, ce qui se situe dans le bas de la fourchette pour les biens de consommation emballés. La part des hard discounters et les volumes de spiritueux sous marque de distributeur sont minuscules, ce qui indique que les consommateurs préfèrent les spiritueux de marque. »

Campari






« Campari a publié des résultats conformes à nos attentes pour le troisième trimestre 2024. Malgré la faiblesse persistante des dépenses de consommation, nous restons impressionnés par la surperformance de l’entreprise dans le secteur. Cependant, nous prévoyons que des vents contraires macroéconomiques pourraient peser sur les résultats pour le reste de l’année. Nos estimations à long terme restent inchangées et, par conséquent, nous maintenons notre estimation de juste valeur de 9 EUR. Nous préférons Diageo et Pernod Ricard, dont la note est étendue et qui se négocient avec une décote par rapport à nos estimations de juste valeur et dont les portefeuilles sont plus larges. »

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.