La France n’a pas encore de gouvernement mais elle aura un budget l’an prochain, a affirmé Emmanuel Macron jeudi soir lors d’une allocution au pays.
Cette perspective semble rassurer la Bourse, qui progresse vendredi 6 décembre.
Néanmoins, pour les investisseurs, la question est de savoir quel Premier ministre le Président de la République choisira « dans les prochains jours », quel gouvernement ce dernier pourra former pour faire voter quel budget au début de 2025.
« Les investisseurs pensent qu’il y aura une loi spéciale d’ici la fin de l’année, avant de connaître début 2025 le prochain gouvernement, le budget remanié et on verra alors si l’on a plutôt un gouvernement de consolidation ou d’expansion, ce qui permettra aux investisseurs de refaire un point sur le spread [écart de taux entre le rendement des obligations émises par la France et celles émises par l’Allemagne] », note Marie-Anne Allier, gérante au sein de l’équipe taux de Carmignac Gestion.
« Nous serons attentif à qui est choisi pour former le nouveau gouvernement, pour quel budget et comment cela sera mis en œuvre », ajoute-t-elle.
« A ce stade, il est encore difficile de voir quel peut être le bon profil du candidat ou de la candidate qui pourrait assumer ce poste. (…) Dans ce contexte la situation politique reste très fragmentée et instable, alors que le pays manque de direction pour sa politique économique », estime pour sa part Sebastien Paris Horvitz, directeur de la recherche chez LBPAM.
Une loi spéciale pour permettre à l’Etat de fonctionner
A ce stade, la France n’aura pas de budget 2025 à la fin de l’année. Pour pallier ce manque, une loi spéciale sera promulguée (un précédent en 1979 existe).
Selon le journal Le Monde, un texte semblable à celui de 1979 serait à l’étude, et permettrait à l’Etat de continuer de fonctionner en l’absence de budget au début de l’année prochaine.
Cette loi spéciale devrait permettre à l’Etat de percevoir l’impôt. Elle permettrait aussi à l’Etat et à la Sécurité Sociale de lever de la dette. Cette loi devrait être adoptée au Parlement.
Selon les articles 47 de la Constitution et 45 de la Loi Organique de Loi de Finances, en cas de dépassement imputable au Parlement, le Gouvernement peut recourir à une ordonnance qui lui permet par décret de répartir les crédits correspondant aux services votés, soit le minimum nécessaire permettant à l’Etat de fonctionner.
« Outre le choix d’un Premier ministre, il sera important dans les jours qui viennent, avant le 19 décembre, que l’Assemblée nationale passe une loi spéciale pour que l’Etat puisse continuer à fonctionner, c’est-à-dire qu’il puisse percevoir l’impôt et les taxes, régies par la loi de finances précédente. Il est difficile de concevoir que cette loi ne sera pas votée », confirme Sebastian Paris Horvitz.
Des marchés soulagés à court terme, en attendant la suite
Les investisseurs semblent temporairement soulagés, les actions françaises progressant tandis que le taux à 10Ans de l’OAT recule légèrement à 2,85% contre 2,90% en début de semaine.
Selon une gérante basée à Paris, au cours de cette semaine, le marché a « joué » l’annulation de l’impôt sur les sociétés (qui devait augmenter) et qui concerne surtout les valeurs du luxe.
Sur le marché des taux, le rendement des obligations françaises a vu son spread fluctuer assez fortement depuis l’été.
Mais si le rendement absolu des obligations assimilables au Trésor a plutôt eu tendance à baisser, l’écart de rendement par rapport au Bund est lui revenu aux niveaux observés l’été dernier, au moment de l’annonce de la dissolution puis des élections législatives.
« Les rendements sur le Bund baissent parce que la croissance en euro est faible, l’inflation recule et les anticipations de baisses des taux directeurs de la BCE augmentent », explique Marie-Anne Allier chez Carmignac.
« Tous les rendements obligataires de la zone euro baissent mais ceux de la France baissent plus lentement que le reste de la zone, en raison de l’incertitude politique très forte dans le pays, ce qui explique l’écartement récent du spread de la France par rapport à l’Allemagne », explique-t-elle.
« Il est aussi probable que les spreads français ne remontent pas, car certains hedge funds sont en phase de clôturer leur année et ont vraisemblablement coupé leur positions vendeuses – ceci pourrait conduire le spread à évoluer vers 75-85 points de base », ajoute la gérante.
Quels sont les enjeux pour 2025 ?
La crainte de certains investisseurs serait un scénario où les partis politiques « républicains » n’arriveraient pas à former un gouvernement de coalition qui tienne au moins jusqu’à l’été 2025, date à laquelle le Président pourrait de nouveau dissoudre l’Assemblée nationale.
Certains observateurs pensent que le niveau actuel du spread entre la France et l’Allemagne reflète déjà bien les enjeux quant à la nécessaire amélioration de la situation financière de la France.
« La forte poussée de la prime de risque sur la dette française depuis cet été, qui peut être mesurée par exemple sur l’écart de taux à 10 ans sur la dette souveraine avec l’Allemagne, intègre déjà beaucoup de méfiance vis-à-vis de la France », estime Sebastian Paris-Horvitz chez LBPAM.
Tous ne sont pas pour autant si négatifs, en particulier si la France et l’Europe parviennent à mettre en place une stratégie pour améliorer la productivité et leur croissance économique potentielle.
Pour ce faire, des mécanismes financiers existent en Europe, souligne Geoffrey Yu, stratégiste chez BNY Mellon.
« Lors de la dernière pandémie, l’Europe avait mis en place un mécanisme d’émission de dette en commun dans le cadre du programme ‘NextGenEU’. A un moment où les tensions commerciales avec les Etats-Unis et la Chine risquent d’être ravivées, la mise en place d’un cadre pour mieux absorber les chocs externes et améliorer la croissance des revenus en Europe serait la bienvenue », explique-t-il.
Quel est le contexte en Europe ?
Parmi les leviers que l’Europe et la France devraient considérer en priorité l’amélioration de la productivité des services publics et du secteur de la construction, un point soulevé par Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne, lors de son discours à Sintra, au Portugal, en juin 2023.
Cette stratégie n’est pas sans rappeler celle du rapport Draghi remis en septembre dernier aux autorités européennes pour rendre l’Europe plus résiliente dans un contexte mondial plus concurrentiel.
Mais tout dépendra du gouvernement en place.
« Il y aurait un changement profond de perception de la situation politique en France si l’on avait une coalition entre la gauche et le RN qui ne s’accorde que sur l’augmentation des dépenses publiques et qu’il n’y ait pas de majorité sur la réduction des dépenses. Ceci risquerait d’augmenter la dette de la France et pourrait avoir des conséquences fâcheuses », avertit Marie-Anne Allier.
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