La dégradation de la note de la France par l’agence de notation Moody’s pourrait ouvrir la voie à d’autres abaissements de note par d’autres agences, estiment certains investisseurs.
Le niveau d’écartement des rendement obligataires de la France par rapport à l’Allemagne (“spread”) ne devrait toutefois pas trop évoluer à court terme, à condition que la situation politique et le vote d’un budget interviennent rapidement.
Après que l’agence de notation Moody’s a dégradé la note de la France d’un cran, à Aa3, assortie d’une perspective stable au lendemain de la nomination de François Bayrou comme Premier ministre, le rendement à 10 ans des obligations émises par l’Etat français progressait légèrement, de 3,01% le 13 décembre à 3,06% ce mercredi 18 décembre.
L’écart de taux ou “spread” entre la dette française et allemande qui était de 0,77% vendredi 13 décembre, atteint 0,80% (ou 80 points de base) mercredi 18 décembre.
Une augmentation du spread signifie que les investisseurs considèrent que la dette française est plus risquée que la dette allemande. Elle contribue à faire baisser la valeur des obligations détenues par les investisseurs.
La dégradation de la France « n’est évidemment pas une bonne nouvelle, et cela rend le downgrade par Fitch (revue prévue fin avril 2025) encore plus probable », estime Marie-Anne Allier, gérante au sein de l’équipe taux chez Carmignac Gestion.
« Malgré tout, et pour l’instant, l’écart de rendement avec l’Allemagne réagit peu (+1 à 2 pbs pour l’instant), les marchés traitant déjà la France comme un pays A-/BBB+ », observe la gérante. DBRS attribue à la France la note “AA-high”, tandis que S&P et Fitch lui attribuent la note “AA-”, selon le site du Ministère des finances.
“A ce stade, nous pensons que l’écart de taux d’intérêt entre le France et l’Allemagne devrait rester élevé, proche du niveau actuel”, observait récemment Sebastian Paris Horvitz, directeur de la recherche chez LBPAM. Ainsi “pour une maturité à 10 ans le taux devrait rester entre 75-80 points de base (pb)”, observait-t-il.
Bernd Volk, stratégiste crédit chez Deutsche Bank dans une note publiée lundi 16 décembre, se montrait plus mesuré sur le risque de nouvelle dégradation dans l’immédiat.
« La note Aa2 pour la France était considérée comme dépassée par la plupart des investisseurs. Les abaissements de note imprévus ont été rares ces dernières années, et envoient un signal d’urgence », estime « Le résultat final est plus favorable au marché que prévu, car l’abaissement était déjà dans le prix et les perspectives stables réduisent probablement les chances d’autres abaissements imminents », nuance-t-il.
Depuis le début de l’année, la Bourse de Paris a reculé de 1,8% (hors dividendes). L’incertitude politique, et les débats autour du budget engagé depuis septembre dernier ont contribué à cette baisse.
Suite à l’annonce de Moody’s, le ministre des finances démissionnaire, Antoine Armand, a déclaré « prendre acte » de la décision sur les réseaux sociaux.
Cette nouvelle intervient alors que la France est toujours sans budget pour l’année prochaine, et qu’elle n’a toujours pas de gouvernement pour en déterminer un qui puisse faire l’objet d’un vote au Parlement.
Le Premier ministre doit désormais former un gouvernement qui puisse bénéficier du soutien des textes législatifs qu’il proposera au Parlement, où aucune majorité n’existe.
L’enjeu prioritaire et principal des futurs débats portera sur l’adoption d’un budget pour l’année 2025.
Le précédent gouvernement espérait ramener le déficit public de la France de 6,1% en 2024 à 5% en 2025 et revenir sous les 3% en 2029. Peu après leur annonce, ces objectifs étaient considérés comme difficilement réalisables.
Un Etat toujours sans budget
Pour la première fois depuis 45 ans, la France va terminer l’année sans budget pour l’année qui suit, ne disposant que d’une loi spéciale présentée le 11 décembre. Cette loi prévoit trois choses : « autoriser à percevoir les impôts existants », avec la reconduction des recettes mentionnées dans la loi organique des finances, et autoriser l’Etat ainsi que « plusieurs organismes de sécurité sociale » à emprunter sur les marchés.
Les crédits mis à disposition des administrations publiques au début de l’année prochaine ne pourront donc pas dépasser les montants votés pour 2024. Ceci signifie qu’aucune dépense nouvelle ne sera mise en œuvre. Les investissements déjà en cours de réalisation et les projets répondant à un besoin « urgent et avéré » devraient être néanmoins financés.
L’absence de loi de finances pour 2025 pourrait néanmoins avoir une conséquence. Faute de budget, le barème de l’impôt ne sera pas ajusté de l’inflation, ce qui risque de conduire mécaniquement des millions de foyers fiscaux à payer un peu plus d’impôts, dans un contexte où leur pouvoir d’achat n’est pas certain de progresser aussi rapidement.
Selon le journal Le Monde, Eric Coquerel (LFI), président de la Commission des finances à l’Assemblée nationale, prévoirait de déposer un amendement à la loi spéciale pour « corriger » cet état de fait.
L’autre conséquence à court terme est que les nouveaux impôts prévus par la précédente loi de finances 2025 n’entreront pas en vigueur immédiatement. Il en va de même toutefois de l’arrêt de certaines hausses d’impôts.
L’enjeu pour le déficit et la dette publics
Le problème est qu’en l’absence de vote puis de mise en œuvre rapide d’un budget qui vise effectivement à réduire le déficit public, l’objectif de 5% de déficit visé par feu le gouvernement Barnier deviendra de plus en plus difficile à atteindre chaque jour qui passe.
Ceci signifie que la dette publique poursuivra sa progression, et pourrait in fine conduire le spread de la France à commencer à tester les plus hauts déjà atteints cette année.
Lors d’une récente audition devant une commission d’enquête sur le dérapage des déficits cette année, l’ancien ministre de l’économie, Bruno Le Maire, craignait que la France ne soit « étranglée par le nœud coulant des taux d’intérêt ».
Une prévision dont l’ancien argentier de la France et les gouvernements dont il faisait partie semblent être pourtant en partie responsables.
« La stabilité politique de la France et sa capacité à lever l’impôt ont permis au pays de garder longtemps un rating plus élevé que ce que la trajectoire des déficits méritait », note Marie-Anne Allier chez Carmignac Gestion.
« Perdre la stabilité politique risque de précipiter les abaissements de notation. Nous ne sommes plus très loin (en spread) de l’Italie et nous commençons à imiter leur instabilité politique. »
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