PARIS (Agefi-Dow Jones)--Difficile de s’avancer sur ce que l’investiture de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis va changer pour l'économie et les marchés à partir de ce lundi 20 janvier.
Mais les analystes sont à peu près d’accord pour dire que le candidat qui a gagné sur un sentiment de rejet de l’inflation a également proposé quatre ensembles de mesures politiques potentiellement inflationnistes et, de toute manière, pas faciles à mettre en ouvre.
La campagne a beaucoup porté sur l’immigration, mais le rapatriement de 8,3 millions d’immigrés illégaux, soit 5% de la population active, paraît peu probable et très coûteux. Il engendrerait 0,5 point d’inflation pour chaque point de pourcentage de population active en moins selon le Peterson Institute (PIIE). Même une réduction des flux d’immigrants légaux risque de se heurter à l’opposition des patrons dans les secteurs de la construction, l’agriculture et la restauration.
Les promesses de dérégulation semblent plus faciles à mettre en ouvre, mais sur un temps long. Et les baisses d’impôts/aides budgétaires devront passer devant le Congrès, où l’on a vu fin décembre sur le sujet du plafond de la dette que les élus républicains ne donneront pas un blanc-seing à l’administration Trump.
Hausse progressive des tarifs douaniers ?
Finalement, le seul train de mesures à peu près certain concernera les tarifs douaniers. Les annonces du candidat ont porté sur une hausse des taxes de 60 points de pourcentage (pp) au-dessus des niveaux actuels pour tous les biens en provenance de Chine. Ils sont aujourd’hui taxés en moyenne à 19%, mais avec de grandes différences selon le type de biens: de 7,5% à 25%, et même 100% pour certains produits électroniques dont les droits passeraient donc à 160%. Une hausse de 10 à 20 points est annoncée pour tous les biens en provenance du reste du monde. Un droit “universel” à ajouter aux quelque 3% en moyenne pratiqués aujourd’hui aux Etats-Unis, contre 4% environ dans le monde selon le FMI.
Dans sa logique inamovible de recherche de négociation, Donald Trump a aussi commencé à proférer des menaces d’augmenter les droits de 25% sur le Canada et le Mexique. “Il a commencé à mettre la pression sur les deux pays avec le moins de capacités de représailles, et s’attaquera très vite à la Chine parce que cela correspond aux promesses de campagne, puis au reste du monde, mais là aussi uniquement coup par coup”, rappelle Antoine Bouët, directeur du Centre d'études prospectives et d’informations internationales (CEPII), et coauteur d’une étude sur le sujet cet automne.
“Les équipes exécutives [emmenées par Scott Bessent au Trésor et Howard Lutnick au Commerce, ndlr] semblent prêtes à agir vite, et ont fait savoir qu’elles étudient la possibilité de durcir les tarifs très progressivement, par exemple au rythme de 2% à 5% par mois”, confirme Frederik Ducrozet, chef économiste de Pictet WM. Ce dernier fait l’hypothèse de hausses limitées, à 20 pp sur la Chine et 5 pp sur le reste du monde.
“A court terme, le scénario le plus probable est que le président Trump annonce des hausses tarifaires ciblées sur certains secteurs stratégiques comme l’acier, l’aluminium et l’automobile, estime Maxime Darmet, économiste senior chez Allianz Trade. Mais des hausses tarifaires importantes sur un plus large éventail de produits ne sont pas à exclure. Le Canada, le Mexique, la Chine et l’UE, cette dernière sur l’automobile, pourraient être les principales cibles.”
L’avantage de la progressivité pourrait être de limiter l’effet immédiat sur l’inflation. Par le passé, le Fordney-McCumber Tariff Act de 1920, avec une hausse de 6% à 15% des tarifs douaniers en niveau, puis le Smoot-Hawley Tariff Act de 1930 (de 15% à 20%) avaient déclenché une guerre commerciale avec des conséquences dévastatrices pour le commerce mondial, qui s'était contracté des deux tiers. Aux Etats-Unis, elle avait été suivie d’une déflation liée à la réduction des flux commerciaux et de la croissance des revenus, rappelle régulièrement Chen Zhao, fondateur du bureau de recherche Alpine Macro.
Effets limités en 2018
En 2018, les augmentations de la première administration Trump, de 3% à 19% pour la Chine et de 2% à 3% en moyenne pour le reste du monde, avaient eu pour effet de déclencher des représailles de la Chine et de l’Union européenne (UE), puis un retour en arrière et un “accord de Phase 1”. Celui-ci prévoyait des importations chinoises accrues en provenance des Etats-Unis: pétrole, charbon, voitures, avions, biens de consommation, soja, homards...
Du point de vue de l’inflation, “les effets des droits de douane avaient été limités, à moins de 2 pp même sur les prix des biens importés, et ponctuels pendant seulement quelques mois, car très atténués par l’appréciation du dollar de plus de 10% entre début 2018 et mi-2019, rappelle Marc Brütsch, chef économiste de Swiss Life AM. C’est encore vrai cette fois, et le dollar pourrait encore progresser même si moins fortement à notre avis”.
Pour l'économiste, “il faudra voir par ailleurs les mesures sur l’immigration - bien plus inflationnistes si elles sont mises en ouvre -, l'évolution des prix du pétrole, et l’extension éventuelle de l’inflation à d’autres biens et services non importés.” Marc Brütsch estime que la Fed ne changerait pas sa politique de baisse de taux si les ménages américains opèrent une réallocation de leurs dépenses ou si les entreprises absorbent une partie de la hausse des taxes sur leurs marges.
“Nous avons fait l’exercice de séparer les catégories de biens directement affectées par les hausses de droits de douane de l’administration Trump 1.0 (machines à laver, autres électroménagers, meubles, revêtements de sol, pièces pour automobiles, vélos, etc.) et les autres, et nous avons constaté jusqu'à 3,7 pp de hausse fin 2019 sur les premières, analyse Léa Dauphas, chef économiste chez Tac Economics. A l'époque, les tarifs avaient été très ciblés. Avec l’administration Trump 2.0, les mesures semblent devoir être étendues à l’ensemble des biens et des pays, mais leur effet inflationniste devrait être atténué par des effets de base inverses sur les autres composants (pétrole, loyers...) cette année. Nous sommes plus inquiets pour 2026.”
Elle évalue à 2 points le risque cumulé sur l’inflation CPI US - qui retournerait donc au-dessus de 4% - avec les hausses annoncées de 60%sur la Chine et 10% sur le reste du monde. Le Peterson Institute parle de 4 à 6 points.
Pas de révolution en 2025
“Nous aboutissons plutôt à une hausse de l’inflation américaine de 1,2 point, comme le Kiel Institute d’ailleurs, sans compter les autres trains de mesures, estime pour sa part Antoine Bouët. Cette évaluation ressort d’un modèle des équilibres commerciaux, sans prendre un modèle monétaire qui intégrerait les évolutions induites sur les salaires ou sur les taux.”
L’expert rappelle que ce sont plus de 3.700 milliards de dollars d’importations américaines annuelles qui sont concernées: “C’est très important, et on peut vraiment penser que Donald Trump restera dans une logique transactionnelle, car la Chine a des capacités de réponses considérables, avec ses importations, mais aussi avec sa mainmise sur certaines ressources naturelles comme les ‘terres rares’ et sur certains semi-conducteurs, via lesquels elle pourrait bloquer des pans entiers de la production et de l'économie américaines. Idem pour l’Europe avec 450 millions de consommateurs de produits américains.”
Le président américain cherchera uniquement à faire des coups. “Cette guerre commerciale pourrait ‘punir’ la Chine, comme c’est l’objectif, mais elle ne pourrait pas rééquilibrer la balance commerciale, ni impliquer une réindustrialisation des Etats-Unis sans le prix d’une réduction de son PIB de l’ordre de 1,3% d’ici à 2030 à cause d’une dépréciation des secteurs où le pays possède des avantages comparatifs”, conclut Antoine Bouët. Donald Trump en est sans doute conscient, comme du fait que ces taxes rapporteraient au mieux 300 à 500 milliards de dollars par an et ne remplaceraient jamais l’impôt sur le revenu (plus de 2.600 milliards).
L’accord de “Phase 1” signé début 2020 n’avait d’ailleurs jamais été respecté par la Chine sur les importations de biens américains, mais le président américain avait obtenu une victoire symbolique. “Il est permis de penser que la nouvelle administration Trump utilisera les droits de douane comme une simple monnaie d'échange dans le cadre de ses négociations commerciales, avec des effets moins négatifs qu’anticipé, conclut Frederik Ducrozet. Selon leur ampleur, cela pourrait exercer des pressions à la hausse sur l’inflation et contraindre la Fed à mettre fin à son cycle de baisse des taux. Mais nous attendons quand même encore deux baisses (pour 0,50 point de pourcentage) cette année.”
-Fabrice Anselmi, L’Agefi, ed: JDO
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