La Bourse de Paris est-elle menacée par la hausse des taux ?

Le plan de relance de l’économie allemande et les projets européens de défense ont plutôt bénéficié à la Bourse de Paris, malgré la remontée des taux qui accroît la prime de risque des actions.

Jocelyn Jovène 19.03.2025
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Francia

Depuis le début de l’année, la Bourse de Paris progresse et fait mieux que le marché européen, avec un gain de respectivement 9,5% pour l’indice Morningstar France contre une hausse de 8,7% pour l’indice Morningstar DM Europe.

Le plan de relance de l’économie allemande et les projets européens de défense ont plutôt bénéficié à la Bourse de Paris, malgré la remontée des taux qui accroît la prime de risque des actions.

De fait, le revirement spectaculaire de la politique budgétaire allemande a introduit de nouveaux risques et opportunités pour les actions françaises.

Principaux enseignements

  • Le rebond historique des rendements du Bund a entraîné les taux souverains des autres pays de la zone euro à des niveaux élevés, en particulier en France.  
  • La hausse du spread allemand reflète un changement de paradigme pour l’économie européenne. Les investisseurs semblent plus jouer l’effet positif sur la croissance économique que l’augmentation du coût de la dette. 
  • La repentification de la courbe des taux favorise les valeurs financières, tandis que les plans d’investissement dans les infrastructures et la défense devraient profiter aux secteurs de la construction et des infrastructures. 
  • La question pour le marché français pour le reste de l’année concerne l’évolution de la situation économique américaine et notamment le risque de récession. 

Derrière ce rebond il y a notamment le changement copernicien de la politique budgétaire en Allemagne et la volonté d’investir plus massivement dans l’économie du pays, y compris le secteur de la défense, avec des conséquences favorables pour la zone euro.

Depuis les annonces de Friedrich Merz, les prévisions de croissance en Europe sont revues à la hausse.

« Les investisseurs pensent que la croissance potentielle de l’Europe, qui était plutôt vue entre 0% et 1%, pourrait gagner jusqu’à 1 point de pourcentage supplémentaire, ce qui est très significatif », estime Marie-Anne Allier, gérante au sein de l’équipe taux chez Carmignac Gestion.

Des taux en hausse, reflet des prévisions de croissance

Logiquement, le niveau des taux reflète cette nouvelle réalité, avec un Bund qui a rebondi dans des proportions historiques.

Toutefois des taux plus élevés peuvent signifier une augmentation du coût de financement pour de nombreuses activités et pénaliser in fine la croissance.

Pour les actions, une hausse des rendements obligataires accroît la prime de risque des actions, ce qui signifie que les investisseurs anticipent un surcroît de rendement pour détenir la classe d’actifs.

« La remontée du rendement du Bund est liée à des facteurs techniques – le marché anticipe une augmentation des émissions d’obligations souveraines allemandes – et à des facteurs plus fondamentaux – le plan d’investissement dans les infrastructures de l’Allemagne pourrait avoir un effet positif sur la croissance potentielle, ce qui justifie in fine des rendements obligataires plus élevés », explique la gérante.

« Les infrastructures, tout comme la défense, peuvent avoir un effet positif sur la productivité, grâce par exemple à la diffusion de l’innovation du militaire vers le civil », ajoute-t-elle.

« La hausse du Bund est justifiée mais sans doute un peu exagérée, note Xavier Chapard, stratégiste chez LBPAM. Avant les annonces du nouveau Chancelier, nous tablions sur un rendement de 2,25% à 10 ans pour le Bund ; depuis ses annonces, nous avons relevé notre prévision à 2,7%-2,8% pour le Bund, alors que le marché est à 2,9%, voire pourrait tester les 3%. »

Le spread de la France se replie légèrement

De façon surprenante, la hausse du Bund n’a pas entraîné d’augmentation du spread sur la dette française.

L’Etat français devra certes emprunter plus cher, mais le fait que le spread français ne s’écarte pas montre que le marché n’est plus aussi nerveux que lorsque la France semblait dans l’incapacité de se doter d’un budget.

Cela dit, face à l’augmentation des dépenses militaires, la France n’a pas beaucoup de marges de manœuvre, compte tenu des difficultés du pays à réduire son déficit public.

« La situation sur les taux français – remontée du rendement de l’OAT mais diminution du spread avec le Bund - n’est pas choquante et reflète le contexte nouveau depuis l’élection de Friedrich Merz en Allemagne », souligne Marie-Anne Allier.

« Nous sommes prudents sur le spread français qui pourrait monter un peu, souligne Xavier Chapard. Le marché espère un peu trop un financement européen, sans voir que trouver des financements publics en France sera sans doute compliqué compte tenu de la situation budgétaire du pays. »

Jusqu'à présent, les principaux facteurs de l'écart ont été la situation économique en France et la trajectoire des finances publiques.

Tant que le marché estime que la feuille de route du gouvernement pour réduire le déficit public est respectée, le niveau actuel de l'écart entre le rendement sur l’OAT par rapport au Bund a peu de chances d’évoluer de manière dramatique.

Cela pourrait changer si la France dévie de sa trajectoire de réduction des déficits, qui est surveillée des près par les agences de notation. Les dernières statistiques sur la croissance du PIB français sont, de ce point de vue, plutôt inquiétantes.

Des opportunités grâce à la repentification de la courbe des taux

La remontée du Bund et des taux a également provoqué une repentification de la courbe, les maturités plus longues augmentant plus vite que les maturités courtes.

« Les annonces du futur chancelier allemand sont très positive pour l’Europe en général et ont profité à des secteurs comme les financières, grâce à la repentification de la courbe des taux qui améliore la profitabilité des banques, et à des secteurs comme la construction et les infrastructures, au regard des efforts d’investissement annoncés », souligne Laurent Chaudeurge, membre du comité d’investissement de BDL Capital Management.

Depuis le début de l’année, le secteur des services financiers en Europe rebondit de 17,6%, devant les valeurs industrielles (+12,7%) ou les télécommunications (+9,9%).

La Bourse de Paris en proie à l’incertitude américaine

L’autre conséquence du probable revirement allemand est le regain d’intérêt des investisseurs internationaux pour l’Europe, au moment où les questions sur la situation économique américaine se posent de plus en plus fortement.

« On assiste à une inversion de paradigme entre les Etats-Unis et l’Europe. Fin 2024, tout le monde pensait que la croissance américaine allait rester forte et la plupart des investisseurs étaient pessimistes pour l’Europe. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Le pessimisme a changé de continent : les investisseurs envisagent un peu plus le risque d’une récession aux Etats-Unis (avec trois baisses de taux attendues cette année), tandis que l’Europe pourrait croître plus rapidement que ce que l’on pensait », observe Marie-Anne Allier, chez Carmignac Gestion.

« La situation américaine est la principale source de risque que nous avions identifié en début d’année et dont on voit les effets dans nos échanges avec les dirigeants d’entreprises européens, note Laurent Chaudeurge. Ces derniers se montrent plus prudents et apprécient peu l’incertitude politique générée par l’administration Trump. »

Ce revirement n’est toutefois pas qu’une bonne nouvelle, puisque les déclarations intempestives de Trump génèrent un regain de volatilité pour les actions françaises, comme illustré ces dernières semaines par l’annonce de tarifs en Europe et l’augmentation des craintes de récession.

La plupart des grandes valeurs françaises sont fortement internationalisées et réalisent en moyenne près du quart de leur revenu aux Etats-Unis.


L'auteur ou les auteurs ne possèdent pas de parts dans les titres mentionnés dans cet article. En savoir plus sur les politiques éditoriales de Morningstar.

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.