"Le haut management avait identifié la question des subprimes comme un risque majeur en septembre 2006 mais l’Investment Board n’a pris aucune mesure jusqu’en juillet 2007, quand il était trop tard"… Pour Adrian Blundell-Wignall, directeur adjoint à l’OCDE, l’affaire est entendue : une fois de plus des opérateurs ont voulu croire, ou ont fait semblant de croire, que les arbres pouvaient monter jusqu’au ciel. Une attitude liée à une vision à court terme et à la recherche de gains immédiats, au prix de la création d’une véritable bombe à retardement.
Cette analyse du dossier UBS, le directeur adjoint de l’OCDE l’a faite la semaine dernière au Colloque du conseil scientifique de l’AMF qui s’est tenu sur le thème "Produits de financement structuré : quels enjeux pour les marchés et pour les régulateurs ?". Une journée où se sont succédés universitaires, banquiers, régulateurs, agences de notation, banques centrales pour faire part de leurs analyses et préconisations. Et où surtout ont été décortiqués dans le détail les mécanismes, multiples, qui ont conduit à la déroute actuelle des marchés financiers et boursiers mondiaux.
Ainsi, dans son intervention sur la crise des subprimes, Adrian Blundell-Wignall décrit par le détail les mécanismes de la titrisation de ces créances non-solvables. Comment les banques, surtout les établissements américains dans un premier temps, ont créé des structures ad-hoc pour sortir des titres "toxic" de leurs comptes
Cachez ces créances que je ne saurai voir...
A ce niveau, l’astuce a consisté à créer des structures ad-hoc (SPE : Special Purpose Entities) sous différentes moutures (VIE, QSPE, etc) dans des zones fiscales plus ou moins paradisiaques. Les actifs de ces structures, déjà jugés douteux à l’époque, n’étaient pas consolidés dans les comptes des maisons- mères.
Ici, ce sont les comptes de Citigroup qui sont utilisés pour illustrer l’astuce. Fin 2007 les VIE hébergeaient 478 milliards de dollars, dont 356 milliards n’étaient consolidés. A cela il faut ajouter 766 milliards d’euros dans des QSPE dont 32 milliards de dollars (moins de 5% du total) ont été consolidés…
Si Blundell-Wignall ne manque pas dans son exposé d’égratigner au passage les agences de notation qui ont noté ces produits "toxic", l’estocade est venue de l’intervention de Jean Charles Rochet, professeur à la Toulouse School of Economics.
Ou laissez-moi en croquer
L’universitaire décortique le risque de conflit d’intérêts et explique comment, en dépit des dénégations, une agence de notation profite de la croissance du marché qu’elle doit noter. Ainsi, chez Moody ‘s, avec la croissance du marché des produits structurés on assiste à une hausse vertigineuse des revenus qui passent de 159 millions de dollars en 2000 à 701 millions de dollars en 2007.
Consulter la présentation de Charles Rochet.On invoque toujours, concernant le risque de conflit d’intérêts des agences de notation, le fait qu’elles ne peuvent pas se permettre de jouer à ce petit jeu ; car en perdant leur indépendance elles perdraient leur crédibilité qui in fine est leur seul véritable actif…
Mais cet actif lui-même a un prix, explique Charles Rochet, avec sa propre prime de risque. Ce qui le conduit à conclure que, arrivé à un certain niveau d’affaires, "l’honnêteté ne paie pas toujours". Et le chercheur de modéliser la courbe de valeur de la réputation d’un opérateur :
Sur la question de la notation des produits structurés et autres dérivés de crédit, on pourra lire utilement aussi l’intervention de Rama Cont, professeur à l’université Columbia de New-York sur Notation et évaluation des produits structurés de crédit où l’auteur met à jour et explique la volatilité excessive de ces notations.
Bref une journée de Colloque fascinante, offrant une véritable plongée dans les arcanes et les astuces de la finance internationale.
Mais quoi qu’il en soit de ces révélations, nous sommes dans le brouillard face à la chute abyssale que connaissent les marchés. Que faut-il faire ? En paraphrasant Warren Buffet qui a déclaré que compte tenu des niveaux actuels il se sentait comme "un obsédé sexuel dans un harem", il n’est sans doute pas déraisonnable face à un CAC 40 qui a perdu environ 44% depuis le début de l’année et un Dow Jones 35% de ressentir en effet un certain priapisme.