Certains sont d’abord frappés par la gravité de la situation. D’autres penseront au centre de gravité. Si la gravité de l’état du monde occidental n’a échappé à personne, le déplacement du centre de gravité du monde politique, économique et financier se fait chaque jour plus criant : il saute aux yeux que le nombril a muté et que ce sont des villes comme Sao Paulo, Mumbaï, Singapour, Abu Dhabi, Saint-Petersbourg, Hong-Kong, Shanghaï, Téhéran, Durban ou Brisbane, qui à des titres divers, concentrent les pouvoirs de demain.
C’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle.
La mauvaise, c’est que face aux 1400 milliards d’euros de dettes en France, Singapour et ses sept millions d’habitants affichaient 1400 milliards de dollars de réserves. De quoi voir venir pour eux et de quoi tenir l’Occident en laisse, pour eux aussi. Celui-ci a repoussé sans cesse l’échéance, avec le classique «demain, on rase gratis».
La bonne nouvelle c’est que les pays en développement intensif représentaient 30% de la production mondiale, le GDP, Gross Domestic Product ou PIB en français. En même temps, la capitalisation boursière de ces pays ne se monte qu’à 15% des chiffres mondiaux. Il est probable que cet écart du simple au double n’est pas justifié à long terme. Le fondateur de GLG, un fonds d’investissement en pleine poupe en Asie, a chiffré à 53 milliards de dollars par an pendant 20 ans les investissements nécessaires dans ces pays pour arriver à l’équilibre. Il y a de la marge et anticiper ce rattrapage parait utile. Le centre de gravité n’est plus à Zurich, à Paris, ni même à Londres ou à Boston – C’est un fait.
Mais encore ?
Il faut reconnaitre que le monde financier et boursier vit depuis le 14 septembre 2008 avec le syndrome Lehman Brothers, tétanisé par le spectre de la faillite de Lehman : et si la Grèce faisait défaut, et si l’euro se décomposait, et si l’Europe des 27 se désagrégeait ?
La baisse des marchés financiers mondiaux en mai 2010 est comparable dans sa nature à celle du 19 octobre 1987, et à celle de septembre 1998. Le 19 octobre 1987, les indices ont reculé de plus de 20% en une seule séance ; à l’automne 1998, la crise des monnaies asiatiques, l’effondrement des emprunts russes GKO et la déconfiture du fonds LTCM du sulfureux John Meriwether (sic) ont provoqué une chute de toutes les places financières. Dans le premier cas, la Bourse de Paris a ensuite doublé entre le début de 1988 et la fin de 1989 ; dans le second, la reprise a été de 110% entre l’automne 1998 et mars 2000!
Le découplage des économies est flagrant, entre la croissance insolente du Brésil (+9%), de la Chine (+11%), de l’Inde (+8%) et la léthargie de la vieille Europe. En revanche, lorsqu’il s’agit des marchés financiers, le couple infernal, contre-nature, se reforme et tout baisse, ou monte, de conserve.
Aujourd’hui, la Chine a partie liée avec l’Occident malade et elle ne laissera pas ses réserves se dévaloriser, son commerce sans partenaires, sa population sans espoir. En clair, l’effondrement relatif des valeurs est nerveux, affectif et ne repose pas sur les fondamentaux : les rendements, les valeurs intrinsèques, les capacités bénéficiaires, les implantations géographiques diversifiées.
Les industriels français se sont suffisamment plaints de l’euro fort pendant trop longtemps pour ne pas se réjouir d’un euro plus compétitif et de dollars ou de yens plus rémunérateurs pour EADS, Safran, Rémi Cointreau et autres Michelin.
A titre indicatif, le rendement moyen des titres japonais dans Prigest Pacifique tangente les 2,5%, alors que l’obligation du trésor nippon à 10 ans donne un rendement annuel de 1,2%. Il n’y a pas photo.
Cette panique généralisée, avec les agences de notation qui en rajoutent par des effets d’annonce plus ou moins innocents, n’est pas pour déplaire à tout le monde. En effet, les gouvernements peuvent sans sourciller faire passer des stratégies d’apurement sans commune mesure avec l’acceptable il y a encore quelques mois. Les régimes sociaux, le système des retraites, la fiscalité, la politique industrielle, le commerce international, tout devrait sans doute être remis à plat dans la douleur, face au mur.
Les « politiques » ont profité de cette crise pour cristalliser l’opprobre des électeurs sur les traders, les paradis fiscaux, les ventes à découvert, les hedge funds, les stocks options, les retraites chapeaux, les cumuls de mandats, les rémunérations pour missions bidon, les dark-pools, le flash trading, les algorithmes, le niqab, la polygamie, etc…le tout en vrac !
Comme si, lorsqu’un avion s’écrase au sol, le responsable de l’accident était la loi de la gravité !
Les analyses rédigées par des contributeurs extérieurs ne sont pas nécessairement partagées par Morningstar. Elles n'engagent que leurs auteurs.