Fort récemment, les marchés ont à nouveau connu des turbulences en raison du regain d’inquiétudes relatives à la solvabilité de plusieurs États du monde développé. Ceci a surtout été perceptible en Europe à la suite de rumeurs concernant une restructuration plus rapide que prévu de la dette souveraine grecque et une percée du parti eurosceptique True Finns lors des élections en Finlande. En outre, le message des autorités relatif à la voie optimale à suivre pour réduire les déficits budgétaires manque à nouveau de cohésion.
Ce manque d’unité n’a pas seulement été observé en Europe, où des opinions contradictoires ont été émises par les hommes politiques et au sein même des dirigeants du FESF et du FMI, mais aussi aux États-Unis, où les divergences d’opinion entre les Démocrates et les Républicains ne cessent de se creuser. Ces dissensions ont incité Standard & Poor’s à faire passer la perspective pour le rating AAA de la dette souveraine américaine de stable à négative. Bien que cette dernière décision constitue de toute évidence un avertissement face au conflit budgétaire américain, les derniers développements sur les marchés suggèrent qu’il subsiste bel et bien un danger de solvabilité dans les pays périphériques de la zone euro.
Ceci souligne une fois de plus que la transparence est un facteur essentiel en période de tensions. Bien que les chiffres du déficit et de la dette du gouvernement américain soient nettement plus mauvais sur ceux de la zone euro prise dans son ensemble, la transparence relative à la façon dont la charge de la consolidation budgétaire sera répartie entre les États individuels est toujours beaucoup plus faible qu’aux États-Unis. En outre, tant la vigueur des bilans que la transparence de la composition des bilans du secteur
financier restent inférieures dans la zone euro par rapport à outre-Atlantique. Cette situation explique dans une certaine mesure pourquoi les marchés sont toujours plus sensibles aux rumeurs concernant les ‘petits’ pays comme la Grèce ou le Portugal qu’aux faits négatifs portant sur le premier marché obligataire au monde (annonce de S&P relative à la perspective de la dette américaine).
Il est désormais clair que le rééquilibrage de l’économie domestique et des secteurs publics et financiers aura un ‘coût’ considérable pour la zone euro. Il est également évident que les déséquilibres actuels sont si importants que la zone euro se situe à un point de non-retour. Quelles que soient les raisons à l’origine de la situation instable actuelle – manque d’harmonisation fiscale, mobilité insuffisante de la main-d’œuvre, libéralisation excessive du secteur financier, bulles immobilières, manque de fermeté du pacte de stabilité et de croissance ou une combinaison de ces éléments -, ces facteurs ne peuvent être tout simplement inversés.
En réalité, l’option d’abandonner l’ensemble du projet de l’euro impliquerait des coûts significatifs pour tous les pays impliqués, probablement supérieurs à ceux de toute autre ‘solution’ imaginable. Ceci causerait une quantité d’incertitudes et un manque de transparence sans précédent pour les agents économiques (ménages, entreprises, pouvoirs publics), les structures de gouvernance et les marchés financiers, ce qui déclencherait probablement une spirale négative pour l’activité et les marchés de la région (voire du monde).
Au carrefour actuel auquel nous nous trouvons, la seule option viable est dès lors de choisir la voie de la réduction des coûts pour tous les acteurs impliqués. Même dans la perspective d’un pays individuel, cela signifie que l’objectif primordial devrait être d’éviter un dérapage de la crise actuelle des dettes souveraines des pays périphériques.
Dans un système économique au sein duquel l’économie réelle, les institutions financières toujours largement endettées et les marchés financiers sont inextricablement liés, la résorption des déséquilibres économiques et financiers est un exercice très délicat qui doit être mené avec prudence afin d’éviter des dégâts inutiles. On ne peut souligner suffisamment combien une combinaison d’incertitude, de manque de transparence, de sentiment négatif et de rapide résorption de la liquidité des marchés peut générer des spirales négatives au sein de l’économie réelle. Une mauvaise gestion de cet exercice inévitable de rééquilibrage pourrait ainsi engendrer des prophéties inutiles, mais auto-réalisatrices.
Comprendre ce risque aide à expliquer pourquoi les rumeurs d’un glissement vers une approche de ‘sevrage rapide’ pour la Grèce (importante diminution de la dette publique d’ici un an) ont un tel impact sur le sentiment du marché. La plupart des investisseurs estiment que la probabilité est trop élevée que l’impact d’une restructuration de la dette grecque à court terme soit trop déstabilisant pour l’ensemble du système.
La manière la moins coûteuse de résoudre les défis de solvabilité pour les États et les secteurs financiers des pays périphériques est dès lors une approche plus progressive. Ceci exigera de la patience, des transferts budgétaires et une restructuration bien préparée d’une partie de la dette à un stade ultérieur.
La patience est nécessaire pour que des progrès suffisants puissent être réalisés en matière de finances publiques (résorption des déficits budgétaires), de perspectives de croissance (réformes structurelles) et de gouvernance paneuropéenne (caractère persistant des réformes). Sans progrès dans tous ces domaines, il restera impossible d’assainir les économies en difficultés afin qu’elles puissent se repositionner comme des contreparties crédibles sur le plan commercial et financier. Si la restructuration de la dette ne crée pas ces conditions, elle ne mettra pas fin à la spirale négative et les pays impliqués pourraient devenir des candidats au défaut en série plutôt que des pays en pleine renaissance.
Etant donné que les pays du ‘noyau dur’ de l’Europe seront également pénalisés par ce processus (étant confrontés à de nombreux amortissements au bilan de leurs banques et au financement des mesures de soutien ‘d’urgence’), le reste de l’Europe a tout intérêt à procurer un soutien budgétaire au moindre ‘coût’ politique. Des exemples évidents de mesures de soutien budgétaire implicite ne se traduisant pas par des transferts directs et visibles sont les abaissements de taux sur les prêts aux pays périphériques et l’extension des maturités pour les prêts déjà consentis.
Une fois qu’une combinaison de soutien de la liquidité et des réformes budgétaires et structurelles aura créé un nouveau point de départ crédible pour les économies des pays périphériques de la zone euro, des restructurations pourront être envisagées pour certains pays (probablement la Grèce et peut-être l’Irlande ou le Portugal). A ce moment là, et à ce moment là seulement, il y aura suffisamment de transparence pour que tous les acteurs cruciaux concernés (ménages, entreprises, investisseurs) aient confiance dans l’avenir. A ce moment-là, et à ce moment-là seulement, le système sera assez résistant pour digérer l’impact négatif qu’une restructuration de la dette souveraine d’un État membre de la zone euro aura sur les bilans et le sentiment.
Il n’est toutefois pas certain qu’une telle approche graduelle se révélera politiquement réalisable. Ceci dépendra en partie des compétences de gestion et de communication des autorités concernées. Être flexible tout en s’exprimant de façon cohérente et d’une seule voix sera indispensable. Notre scénario central continue à prévoir que les autorités y parviendront finalement, mais dès que des déviations significatives et durables par rapport à ces principes directeurs seront observées, nous ne manquerons pas de devenir plus sceptiques à propos d’une issue constructive.
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