Avec le développement de la gestion indicielle, et notamment les ETF, les investisseurs veulent savoir à juste titre si les frais souvent élevés qu’ils déboursent pour la gestion active sont mérités. Au fil des années, plusieurs mesures ont ainsi été créées pour mesurer la déviation d’un fonds par rapport à son indice de référence, c’est-à-dire pour vérifier si le fonds se contente de suivre l’indice ou s’il s’en démarque véritablement.
De son coté, le concept d « active share » s’appuie sur la composition du portefeuille des fonds plutôt que sur des mesures statistiques de déviation de la performance par rapport à un indice. L’idée de l’« active share », ou part active, est de quantifier le degré de différenciation entre le portefeuille d’un fonds et la composition de l’indice de référence. Concrètement, il s’agit d’additionner les différences absolues de pondérations entre les positions du portefeuille et celles de l’indice. Par exemple, une valeur qui pèse 5% dans un fonds et seulement 3% dans l’indice de référence, va contribuer pour 2% à la mesure de part active du portefeuille. Au final, un score de 100% signifie que le fonds n’a aucun recoupement avec l’indice. Le score peut théoriquement dépasser 100% si le gérant a uniquement des positions vendeuses (shorts) et aucune position longue dans l’indice. A l’inverse, un score de 0% signifie que la composition du fonds est identique en tout point à celle de son indice de référence.
Le concept a initialement été lancé par deux professeurs de l’université de Yale, Martijn Cremers et Antti Petajisto, dans un document de recherche écrit en 20091. Cremers et Petjisto ont étudié les portefeuilles de fonds américains entre 1980 et 2003 pour arriver à la conclusion que ceux qui avaient la part active la plus élevée tendaient à surperformer leur indice de référence avant et après frais. Autrement dit, une part active élevée était un bon indicateur de surperformance. Bien sûr, tous les fonds qui se démarquent de l’indice ne vont pas le surperformer pour autant. Mais Petajisto et Cremers ont découvert que ceux qui tendent à rester proche de leur indice, c’est-à-dire les fonds pseudo-actifs, ont tendance à sous performer car ils peinent à surmonter le poids des frais. Ces fonds gérés proches de leur indice sont nombreux. En effet, pour un gérant, le fait de sous performer à court terme tout en gardant un positionnement proche du marché est nettement plus justifiable auprès de son employeur et de ses clients qu’une sous performance avec un positionnement radicalement différent. Il existe donc une inclinaison naturelle pour les gérants actifs à adopter un positionnement consensuel.
Dans cet article, nous avons analysé à travers le prisme de la part active, les fonds sur lesquels notre équipe de recherche a les plus fortes convictions, ceux notés Elite et Supérieur. L’étude est restreinte aux fonds d’actions européennes grandes capitalisations, ces derniers étant utilisés en cœur de portefeuille par la plupart des investisseurs. L’indice retenu est le MSCI Europe. Même si ces fonds utilisent d’autres indices de référence – contre lesquels la part active devrait être théoriquement mesurée – le MSCI Europe a le mérite d’être largement accepté comme benchmark du marché des grandes valeurs européennes.
Fonds notés Elite et Supérieur dans les catégories Europe Grandes Cap mixte, value et croissance, disponibles à la ventes en France, mesures à fin décembre 2010 :
Nom |
Catégorie |
Note qualitative |
Active share vs MSCI Europe EUR Déc. 2010 |
Nombre de titres Déc. 2010 |
Franklin Mutual European |
Grdes Cap Value |
Elite |
74% |
67 |
JOHCM European |
Grdes Cap Mixte |
Elite |
69% |
80 |
Renaissance Europe |
Grdes Cap Croissance |
Elite |
91% |
32 |
Alken European Opportunities |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
92% |
66 |
AXA Europe Actions |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
53% |
93 |
BGF European |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
77% |
57 |
BGF European Focus |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
86% |
41 |
BGF European Growth |
Grdes Cap Croissance |
Supérieur |
80% |
57 |
BGF European Value |
Grdes Cap Value |
Supérieur |
75% |
44 |
BL-Equities Europe |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
83% |
45 |
BNPP L1 Equity Best Sel Europe |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
77% |
49 |
BNPP L1 Equity Europe Growth |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
77% |
52 |
Carmignac Portf Grande Europe |
Grdes Cap Croissance |
Supérieur |
89% |
44 |
Cazenove Pan Europe |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
66% |
78 |
FF - European Growth |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
71% |
99 |
Fidelity Europe |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
72% |
85 |
GS Europe CORE Equity Base |
Grdes Cap Value |
Supérieur |
70% |
116 |
Invesco Pan European Structured Eq |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
82% |
81 |
JPM Europe Dynamic |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
76% |
99 |
Jupiter JGF European Opportunities |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
78% |
59 |
MainFirst Top European Ideas* |
Grdes Cap Value |
Supérieur |
96% |
34 |
Metropole Sélection* |
Grdes Cap Value |
Supérieur |
92% |
25 |
MS INVF European Equity Alpha |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
69% |
44 |
Petercam Equities Europe |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
65% |
83 |
Petercam Equities Europe Dividend |
Grdes Cap Value |
Supérieur |
75% |
53 |
Saint-Honoré Europe Synergie |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
89% |
41 |
Schroder ISF European Special Sit |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
80% |
60 |
SSgA Europe Alpha Equity Fund* |
Grdes Cap Value |
Supérieur |
49% |
152 |
Uni-Global Min Variance Europe* |
Grdes Cap Mixte |
Supérieur |
85% |
61 |
Moyenne fonds Elite et Supérieur (30 fonds) |
77% |
|
||
Moyenne Catégorie (637 fonds )** |
68% |
|
||
* portefeuille à fin juin 2010 |
||||
** catégories Grandes Cap.Croissance, Value et Mixte avec portefeuille disponible à fin décembre 2010 |
Ces fonds affichent quasiment tous des parts actives très élevées. Collectivement, la moyenne de part active des 30 fonds de grandes capitalisations européennes notés Elite ou Supérieur (disponibles à la vente en France et hors indiciels) est de 77%. A titre de comparaison, la moyenne de part active des catégories grandes capitalisations européennes est de 68%. Dans leur étude, Cremers et Petajisto considèrent que les fonds pseudo-actifs ont une « active share » entre 20% et 60%. Parmi les fonds Elite et Supérieur analysés ici, aucun n’affiche de part active très faible. Ces fonds poursuivent pour la plupart des stratégies avec des styles marqués, de fortes convictions qui conduisent à des portefeuilles distinctifs ; mais tous ont le même objectif de battre les marchés sur le long terme. Pour ce faire, ils n’hésitent pas à se distinguer de leurs concurrents et des indices même si cela signifie passer par des périodes de sous performance qu’ils ont tous vécus ou vivront à un moment ou un autre.
Les fonds avec des parts actives élevées ne garantissent pourtant pas la surperformance. En effet, plus les paris actifs sont importants, plus le fonds a le potentiel pour surperformer mais plus grand est également le risque de sous performance. On comprend donc aisément l’engouement pour des gestions passives. Pour ceux qui décident de favoriser la gestion active, le critère de l’ « active share » mérite qu’on s’y attarde, ne serait-ce que pour éviter les fonds pseudo-actifs aux frais souvent similaires à des fonds vraiment gérés activement. Néanmoins, la part active n’est en aucun cas un critère de choix définitif. Elle apporte un éclairage supplémentaire pour mieux appréhender le potentiel d’un fonds. Elle doit être analysée en conjonction avec les autres éléments qui distinguent, selon nous, les meilleurs fonds : les frais, la qualité et l’expérience des équipes, la cohérence de la stratégie, le track record et l’attitude de la société de gestion envers les investisseurs.
Cet article a initialement été publié dans le numéro de juin 2011 de MorningstarProfessional.