Jamais le débat « gestion active, gestion passive » n’a été aussi enflammé qu’aujourd’hui. Probablement parce que la possibilité d’accéder à l’une et l’autre n’a jamais été aussi simple : développement considérable des ETF d’un côté et de l’autre démocratisation de la forme la plus « fondamentaliste » de la gestion active avec la gestion alternative.
Il est toutefois juste de reconnaitre qu’au cours des dernières années, les partisans de la gestion passive ont marqué des points : incapacité de la plupart des gérants actifs à se prémunir contre la crise de 2008 et effort marketing très important de la part des fournisseurs d’ETF ont encouragé l’engouement pour la gestion passive. Ballotés entre le souvenir de la précédente crise (crise des technos) qui avait a contrario consacré la prééminence du stockpicking avec l’avènement de quelques stars comme Marc Renaud ou Didier Le Menestrel, et les arguments raisonnables des ETFistes (moindres frais de gestion, WYSIWYG…), les investisseurs sont bien souvent perplexes et peinent à se faire une religion.
Nul doute que la recherche académique donnera d’ici peu un cadre théorique à ceux qui cherchent à allier gestion active et gestion passive, mais un peu d’analyse et beaucoup de bon sens peuvent déjà permettre de clarifier les choses.
Tout d’abord rappelons que l’objectif premier de la gestion passive qui est de permettre à l’investisseur de recevoir la performance d’un marché sans prendre le risque de sous-performance. Dans la pratique, il abandonne du même coup tout espoir de sur-performance en n’autorisant pas le gérant à prendre des paris sur les constituants du marché.
L’indicateur traditionnel utilisé en gestion pour mesurer l’ampleur des paris du gérant est la « tracking error ». Elle mesure la volatilité de l’écart de performance par rapport à l’indice. Prenons l’exemple du fonds dont les performances mensuelles sont représentées sur le graphique suivant.
Sa tracking error (TE) ressort à 15,60% Il n’est pas de meilleur indicateur que celui qui représente quelque chose de concret à celui qui le lit. Posons-nous alors la question, comment interpréter une TE annuelle de 15.60% ?
Un fonds de TE = 15.60% verra théoriquement sa performance au bout de 12 mois se situer dans 2/3 des cas ( en réalité 68%, soit 2 écarts-types) dans l’intervalle : Performance benchmark – 15.60% et performance benchmark + 15.60%. Au bout de 3 ans, elle se situera (toujours dans les 2/3 des cas et toujours théoriquement) entre benchmark – 27% et benchmark +27%. Il convient de garder à l’esprit que la tracking error est symétrique : elle représente un espoir de sur et de sous-performance.
Vous aurez remarqué que j’ai employé 2 fois le mot « théorique » dans le paragraphe précédent. Vous vous dites sans doute que ça n’est pas très bon signe et que ça cache probablement une réalité tout autre. Et bien vérifions :
Observons ce qu’il s’est passé sur l’univers des fonds Actions Europe au cours des 5 dernières années, soient 750 fonds et voyons la sur/sous-performance de ces fonds chacun par rapport à son benchmark. Puis mettons cette performance relative en rapport avec la tracking error. Les résultats se trouvent dans le graphique ci-dessous.
Les courbes vertes et rouges représentent les bornes dans lesquelles devraient se trouver 98% des fonds en extrapolant leur tracking error.
1er constat : il semble que la théorie se vérifie dans la pratique. La grande majorité des fonds se trouve en effet au milieu du cône de probabilité.
2ème constat : celui-là fera sans doute beaucoup de mal à tous les rêveurs et autres candides du monde de la gestion. Il existe très peu de fonds qui génèrent une sur-performance très au-delà du risque qu’ils prennent en s’écartant de leur benchmark. Pas de performance sans risque !
3ème constat : si on regarde le graphique de plus près, il semble qu’une majorité de fonds ont sous-performé leur benchmark.
De fait, 60% des 750 fonds ont en effet sous-performé leur benchmark au cours des 5 dernières années ! Le voilà donc l’argument ultime en faveur des ETF, la quadrature du cercle de l’investisseur passif, je le savais bien : « la gestion active ne marche pas ! »
Comme toujours, méfions-nous des conclusions hâtives et regardons les choses d’encore plus près. Il semble en effet à l’œil que cette sous-performance est d’autant plus forte que les fonds ont une faible tracking error.
Le graphique ci-dessous représente graphiquement la performance moyenne des fonds en fonction de leur tracking error.
La réalité n’est pas aussi simple qu’il y parait : pour les fonds à forte tracking error, le constat est beaucoup plus partagé. En effet, il semble que le déséquilibre est beaucoup plus fort pour les fonds qui ont une tracking error inférieure à 5% et pour le reste c’est disons globalement 50/50. C’est comme si la gestion active en deçà d’un certain niveau de prise de risque ne parvenait pas à rattraper la couche de frais de gestion qu’elle doit supporter….
Résumons-nous : à ma gauche des fonds à faible tracking error (et donc à faible espoir de sur-performance) qui sous-performent dans leur majorité, et à ma droite des fonds à fort espoir de sur-performance. N’avons-nous pas trouvé là un moyen de départager les partisans de chacune des 2 approches ?
Pourquoi ne pas concentrer ses efforts de sélection de fonds sur des gestions vraiment actives, à réel potentiel de sur-performance mais au risque supérieur ; et ne pas utiliser de la gestion passive pour la partie du portefeuille aujourd’hui la plus benchmarkée, la plus pénalisée par les frais ? De cette manière vous utiliserez votre temps de manière plus efficace.
Cet article a été initialement publié dans le magazine Morningstar Professional de juin 2011.