La gestion alternative a connu un fort développement au cours des deux dernières décennies et a attiré l’attention du grand public grâce à quelques faits d’arme comme par exemple l’attaque orchestrée contre la livre sterling et les devises asiatiques par le gérant de hedge funds George Soros. Mais au-delà de ces opérations spectaculaires, la gestion alternative se caractérise surtout par un ensemble de techniques d’investissement utilisé à l’origine par les Hedge Funds.
Les Hedges Funds s’exonèrent des contraintes réglementaires de la gestion traditionnelle (les fonds actions et obligataires) avec pour objectif de générer des rendements positifs et non corrélées quelques soient les tendances des marchés. Pour ce faire, contrairement à la gestion traditionnelle, le gérant n’est pas obligé de respecter les limites imposées par les autorités de contrôle. Cela lui permet d’être beaucoup plus flexible dans sa gestion et de passer outre les limites de diversification (taux minimum d’investissement, qualité de crédit, liquidité des titres, etc). En outre, les gérants peuvent utiliser une vaste palette de produits dérivés (futures, options, swaps…).
Grâce à cette gestion non contrainte, l’utilisation de produits dérivés et de vente à découverts, les gérants peuvent performer (quand tout se passe selon leurs plans) dans les marchés haussiers comme baissiers et arbitrer les inefficiences de marché.
Stratégie Equity Long/Short
Imaginons un gérant appliquant une stratégie Equity Long/Short. Il identifie des actions de petites et moyennes capitalisations, peu couvertes par les analystes et peu liquides. Son portefeuille long mobilise 100% du capital du fonds pour acheter 20 actions. Le gérant les considère comme étant sous évaluées, et il estime que leur potentiel de revalorisation dans le futur n’est pas dépendant de la tendance des marchés financiers (risque idiosyncratique). De manière symétrique, il utilise les services de son broker pour vendre à découvert 20 autres actions surévaluées et dont la valeur va selon lui baisser. Cette opération de vente à découvert porte sur un montant représentant 80% de son capital. Le portefeuille est donc exposé à hauteur 180% du capital du fonds (levier de 180% ou 1.8x) et a une exposition nette au marché de 20%.
Si les deux portefeuilles longs et shorts délivrent une performance en ligne avec le marché, il générera une performance égale à 0.2x celle du marché. Si ses choix de valeurs s’avèrent judicieux, il dégagera de fortes plus values sans avoir d’exposition directionnelle au marché.
Imaginons que notre gérant Long/Short, spécialiste dans les valeurs technologiques, ait identifié que Logitech (périphériques informatique) perdait des parts de marché face à Apple qui bénéficie d’une forte avance en terme d’innovation. Il s’est donc positionné à la vente sur Logitech et a acheté des actions Apple au 1er janvier 2011. Sans s’exposer de la manière directionnelle au marché, il aura généré au 31 juillet de la même année 50% de profits sur la baisse des actions Logitech, et 20% sur l’appréciation de l’action Apple.
Bien évidemment on s’en doute, on ne peut pas totalement écarter l’hypothèse où les anticipations du gérant ne se réalisent pas, ou même sont carrément prises à contrepied : les positions short vendues à découvert, au lieu de voir leurs cours baisser, enregistrent des hausses. Dans ce cas, le gérant devra les acheter plus chères qu’il ne les a vendues initialement ; avec ce risque pénible que si dans le cas d’une position long le risque de perte maximale est toujours connu d’avance (perte maximale égale au montant investi), dans le cas d’une position short la perte potentielle n’a pas de limite a priori (une action vendue 10 euros à découvert risque de devoir être rachetée, à fin de livraison, 12 euros, 15 euros, 20 euros, 50 euros…)
Levier, couverture et spéculation
Les gérants utilisent de façon extensive le marché des futures afin d’augmenter leurs expositions aux marchés, ou à l’inverse, réduire leurs risques en couvrant leur exposition de marché en étant « short future ». Ces instruments sont cotés en permanence sur les bourses mondiales et sont extrêmement facile d’utilisation. Ils permettent de s’exposer aux marchés en n’engageant initialement que 10% à 20% du capital et ainsi de bénéficier d’un effet de levier jusqu'à fois 10.
Par exemple, à fin août 2011, le future sur CAC40 maturité septembre 2011 cote 3.141 pts. Sachant que le contrat coûte 10 euros par point, il a une valeur comptable de 31.410€. Mais pour acheter un contrat, le gérant ne doit déposer que 3.300€ (1) à la chambre de compensation. Lors de l’initiation de sa position (en faisant abstraction des appels de marge), il a accès à un levier financier de 3.300/31.410 = 10,5.
De la même manière, les gérants peuvent utiliser les options d’achat ou de vente (Call ou Put), ainsi que la combinaison d’options, afin de couvrir les risques sur des sous-jacents aussi variés que les indices actions, les taux, les matières premières. Les contrats d’options permettent de spéculer à la hausse sur certains titres en cas de forts rebonds sans engager beaucoup de capital mais uniquement en payant une prime lors d’achat. Les options offrent une très forte asymétrie gain/perte : la perte est limitée au prix payé lors de l’achat du contrat mais les profits sont potentiellement illimités.
Supposons qu’en début d’année, un gérant ayant analysé la situation macroéconomique anticipe que le dollar américain va lâcher du terrain. Il veut donc parier sur l’or, qui selon lui, va redevenir la nouvelle devise d’échange mondiale. Au premier janvier 2011, l’once d’or cote à peine plus de 1.400 dollars. Il achète un call (option d’achat), maturité septembre 2011, avec un prix d’exercice est 1.500 dollars.
Fin février, le call sur l’or cote 0.39€. L’once d’or cote 1430 dollar. Depuis cette date, le dollar américain a glissé de 6% et les investisseurs se sont rués vers l’or, celui-ci battant ses plus hauts historiques jusqu'à atteindre 1820 dollars, soit une appréciation de 27%. A fin août, le call cote 2.2€ et la valeur de ces contrats s’est appréciée de 464%...
Liquidités restreintes
Les gérants appliquant les techniques d’arbitrages visent à identifier des inefficiences de marchés qui doivent disparaitre, ou bien à profiter des dislocations et excès des marchés en prenant des positions à long terme afin de profiter d’une tendance de long terme. Ces gérants utilisent parfois des instruments dérivés et investissent sur des titres pouvant être peu liquides (small caps, parfois titres non cotés, dette d’entreprise en situation de retournement).
Les conditions de liquidité de ces fonds sont donc parfois très tendues. Il n’est pas rare que la valorisation du fonds soit faite sur une base mensuelle et les investisseurs doivent respecter des préavis de rachats de 30 à 90 jours (notice period) avant de pouvoir sortir du fonds. Pour les stratégies les moins liquides telles que la restructuration de dettes, le prospectus du fonds peut imposer des « lock-up », période de une à plusieurs années durant laquelle le client ne peut pas sortir du fonds.
Ces conditions peuvent paraitre drastiques. Elles sont en réalité mises en place pour protéger les co-investisseurs ainsi que le gérant, qui doit pouvoir être libre de toutes contraintes afin de tenir ses positions jusqu'à maturité. Le cas échéant, si le gérant est contraint de déboucler des positions de façon prématurée, la stratégie qu’il a mise en place risque d’être battue en brèche. On se souviendra qu’en 2007 et 2008 plusieurs fonds « classiques » se sont trouvés confrontés à un assèchement de la liquidité sur certains titres et n’ont pu faire face aux demandes de rachat. Les autorités de marché les ont alors autorisés à cantonner les actifs iliquides au sein de « side pocket » devant faire l’objet d’une gestion extinctive (c'est-à-dire devant être vendus quand les conditions de marché le permettraient). Face à une telle situation, les clauses de lock-up présentent l’immense avantage, elles, d’être annoncées d’entrée de jeu à l’investisseur au moment de la souscription !
Note :
(1) Voir LCH Clearnet, chambre de compensation d’Euronext.
Avertissement : les exemples énoncés ayant offert de bons résultats sont, a posteriori, faciles à identifier.
Cet article a été initialement publié dans le magazine Morningstar Professional de septembre 2011.