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Les banques sont-elles maudites ?

Déstabilisées par la crise de la dette souveraine en Europe et la dégradation de la note américaine, les banques sont à la peine.

Erin Davis 21.11.2011
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Il aura fallu moins de 3 semaines cet été, entre le 22 juillet et le 10 août, à la Société Générale pour perdre près de 40% de sa valeur en bourse, passant de plus de 38 euros à près de 22 euros. Il est vrai que la période estivale a été particulièrement tumultueuse sur les marchés : aux craintes suscitées par les incertitudes sur la crise de la dette grecque s’est ajouté le coup de tonnerre le vendredi 5 août de la dégradation de la note souveraine américaine de AAA à AA par Standard and Poor ‘s.

Pourtant la publication des résultats des « stress tests » bancaires à la mi-juillet avait pour partie allégé le voile de suspicion qui pèse sur le secteur depuis 2008. Il ressortait que parmi les 91 établissements passés au crible, seuls 8 n’étaient pas à la hauteur, dont    aucun établissement français. Il est vrai que les établissements hexagonaux avaient pris des mesures appropriées au printemps en dépréciant par exemple de 21% dans le cas BNP Paribas et de la Société Générale leur exposition à la dette grecque. Même si le niveau de dépréciation devait être relevé et que de nouveaux émetteurs étaient mis à l’index, nous pensons que les banques françaises ont un capital leur permettant d’absorber le choc. Dans le cas de BNP Paribas, il faudrait une dépréciation de l’ordre de 30% sur ses expositions aux dettes PIIGS ainsi que des pertes de 7,5% sur le reste de son portefeuille de dette avant que son ratio Tier 1 ne passe en dessous de 6% visé par Bâle III.  Dans le cas de la Société Générale, il faudrait une dépréciation de l’ordre de 50% et une perte de 15% sur les autres dettes pour qu’elle soit contrainte de renforcer ses capitaux.

Au-delà des mouvements de marché parfois excessifs, pour l’investisseur il importe de se faire une opinion à plus long terme sur les établissements financiers et d’apprécier, dans ce secteur, quelles sont les valeurs les mieux à même de traverser les perturbations actuelles. En effet, au-delà  de la crise grecque, le secteur doit d’ici la fin de la décennie passer à la Bâle III.  L’instauration des accords Bâle III, qui fixent les normes internationales en matière de fonds propres et de liquidités, devrait s’effectuer progressivement à partir du 1er janvier 2013 jusqu’à leur mise en place définitive en 2019. Leur impact devrait être ressenti dans le monde entier. Certains pays sont mieux préparés que d’autres à cette adoption, mais le délai très généreux donné fait qu’à notre avis, tous les pays devraient être à même de respecter les différentes étapes du calendrier de mise en œuvre. L’objectif de Bâle III est de créer un espace compétitif équitable pour les banques du monde entier, malgré le côté utopique de la chose. De nombreux pays commencent à fixer des normes encore plus restrictives que les règles de Bâle III, et d’autres pensent que ces normes vont trop loin.

Qui plus est, toutes les règles n’ont pas encore été écrites. Des modifications considérables des ratios de liquidité et de ressources stables sont à prévoir avant leur mise en place définitive. L’un dans l’autre, il convient d’être attentif à cette situation, car un arbitrage du régulateur est fortement envisageable, d’où, par voie de conséquence, d’intéressantes évolutions au niveau des principales banques mondiales.

Ratios de fonds propres

Au cœur du problème se trouvent les exigences de fonds propres. Bâle III entend imposer des exigences de fonds propres plus strictes aux banques, ceci tant en termes de qualité que de quantité. En termes de qualité, les banques devront désormais maintenir des ratios de fonds propres ordinaires Tier 1, dont sera éliminée la possibilité, parfois problématique, d’intégrer les pertes sur prêts par le biais de fonds propres hybrides. La définition des fonds propres de base fait également l’objet de restrictions, et certains éléments comme les reports d’avoir fiscaux sont éliminés. En outre, la quantité de fonds propres nécessaire augmente. On trouvera le détail des nouvelles exigences, plus strictes, dans le tableau ci-dessous ; notez au passage que les ratios minimaux augmentent avec l’introduction des nouvelles marges de sécurité qui, au final, obligeront les banques à détenir plus du double de fonds propres ordinaires qu’à l’heure actuelle.

En 2009, le Comité de Bâle a relevé le seuil de détention de fonds propres par rapport au portefeuille d’opérations et aux produits structurés complexes. Ces nouvelles normes en matière de fonds propres seront instaurées au plus tard avant la fin 2011. Elles auront un impact considérable sur certaines des plus grandes banques d’affaires du monde. Dans l’ensemble, ces banques s’efforcent de réduire leurs actifs à risque afin d’en minimiser l’impact sur leurs niveaux de fonds propres, mais ce processus prendra plusieurs années.

Le ratio d’endettement, défini comme le ratio entre les fonds propres ordinaires Tier 1 et le total de l’actif plus l’exposition aux éléments hors bilan, fera son apparition à partir de 2013. Il devrait en principe créer un filet de sécurité contre la dépréciation des différents actifs. Un ratio de levier minimal de 3 % sera instauré. A ce stade, nous estimons qu’il ne devrait pas poser de gros problèmes, puisque les exigences en matière de Tier 1 et les modifications en matière de pondération du risque auront de toutes façons déjà obligé la plupart des banques à satisfaire également aux critères de ratio d’endettement.

 Institutions financières d’importance systémique

La notion d’institution financière d’importance systémique, ou IFIS, n’a pas encore été officiellement définie. Dans la mesure où les IFIS devront détenir des fonds propres supplémentaires dans une proportion qui reste à définir, la classification risque d’avoir un impact considérable sur le positionnement concurrentiel des différents établissements et sur l’obligation dans laquelle ils se trouveront de renforcer leurs fonds propres. Une des propositions consiste à laisser les différents pays décider du niveau de fonds propres supplémentaires requis. Le Comité Bâle III s’attachera-t-il à l’impact mondial d’une faillite d’entreprise ou à son impact au niveau national ? La deuxième éventualité augmenterait fortement le nombre d’entreprises d’importance systémique. Ainsi, Wells Fargo (WFC) peut être considérée comme d’importance systémique pour les Etats-Unis, mais sa faillite aurait peu de chances d’affecter le système mondial de façon significative.

La Banque des règlements internationaux a indiqué en juillet qu’elle avait identifié 28 Institutions financières d’importance systémique (dont les noms n’ont pas été communiqués) parmi les 73 plus grandes banques mondiales qu’elle a analysées. Ces établissements devront supporter à échéance 2016 une exigence supplémentaire de fonds propres variant de 1 à 2,5% selon les cas.

Où investir ?

Principalement dans les pays où les régulateurs surveillent également les situations concurrentielles de leurs banques, autrement dit là où ces régulateurs n’encouragent pas les banques à prendre des risques excessifs en raison d’exigences trop élevées en matière de fonds propres. Et en essayant  d’éviter les pays dans lesquels la crise économique pèserait excessivement sur les banques, lesquelles seraient obligées d’accroitre leur dette à long terme pour répondre aux prescriptions de Bâle III. Autant dire que les PIIGS sont pratiquement hors course. Par conséquent, on en déduit que l’Australie, le Danemark, la France, le Canada et les États-Unis offrent les terrains de chasse les plus favorables aux investissements dans les cinq années à venir, soit pendant la période de mise en place de l’accord Bâle III.

Australie

Le marché du logement reste tendu en Australie, au même titre que l’économie. Compte tenu de la forte croissance liée à l’appétit pour les matières premières de la Chine, les banques australiennes ont très bien tiré leur épingle du jeu lors de la crise du crédit et jouissent d’une situation enviable en termes de fonds propres. Etant donné le caractère plus strict qu’aux Etats-Unis des normes prudentielles, il y a fort à parier que les banques australiennes ne souffriraient pas autant que leurs homologues américains de l’éclatement d’une éventuelle bulle immobilière australienne. Par conséquent, nous pourrions nous intéresser à l’une ou l’autre des quatre grandes banques des antipodes.

Canada

Les banques canadiennes devraient pour la plupart satisfaire aux exigences de Bâle III sans problème particulier. Même si pratiquement toutes sont évaluées à leur juste valeur, nous avons un faible pour Toronto-Dominion. TD est la deuxième banque du Canada par la taille. Nous apprécions sa forte exposition au secteur de la banque de détail et les perspectives de développement de sa succursale nord-américaine. Ladite succursale progresse en termes de parts de marché et génère un montant considérable de dépôts excédentaires. Elle devrait être capable de renforcer sa rentabilité en remplaçant des actifs à faible rentabilité par des activités de prêt à haut rendement. La récente acquisition de Chrysler Financial par Toronto-Dominion pourrait constituer un élément déclencheur important dans une telle transformation de la structure financière de l’entreprise. TD bénéficie aussi, selon nous, d’une équipe de gestion particulièrement compétente capable d’allouer les fonds propres de façon judicieuse. En résumé, TD est une banque relativement peu risquée avec un profil de croissance supérieur à la moyenne et qui s’échange, selon nous, à un cours raisonnable.

Etats-Unis

Les Etats-Unis devraient adopter l’accord Bâle III en l’état. Même si, à notre avis, les trois principales banques seront soumises à des critères d’importance systémique, il ne nous semble pas qu’elles doivent dans l’ensemble en pâtir. Par conséquent, parmi les grands noms, nous avons un faible pour J.P. Morgan. J.P. Morgan a su tirer parti de la crise financière, en continuant à investir dans ses lignes d’activités année après année durant la crise et en maintenant sa rentabilité tout au long du ralentissement. Sa forte assise financière lui a permis non seulement de réussir le tout dernier test de solidité gouvernemental, mais aussi d’accroître son bénéfice par action à 1,27 dollar sur le deuxième trimestre de l’année. La société, qui continue à s’échanger à un niveau nettement moins élevé que notre estimation de juste valeur, a également annoncé qu’elle envisageait de racheter pour 15 milliards de dollars d’actions ordinaires (l’équivalent de 8 % de sa capitalisation boursière totale) au cours des deux prochaines années, dont 8 milliards de dollars susceptibles d’être mobilisés en 2011. Nous voyons cela d’un très bon œil, car le fait de racheter des actions à un cours avantageux devrait créer énormément de valeur pour les actionnaires. Avec un niveau de un dollar par action, le nouveau ratio de distribution des dividendes s’établirait à 17 %, soit moins que l’objectif à long terme de la banque, qui est de 30 %. JP Morgan affiche un ratio Tier 1 de 7,6%, bien au dessous des exigences 2019 de Bâle III telles qu’elles sont connues actuellement.

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ENCADRE

La situation des banques françaises

Les régulateurs français semblent très soucieux du positionnement concurrentiel de leurs banques dans le contexte mondial. Le pays a déclaré qu’il n’appliquerait pas les normes de Bâle III si les Etats-Unis ne donnent pas l’exemple. Même si les Etats-Unis envisagent d’adopter les normes de Bâle III, le scepticisme français est compréhensible dans la mesure où les États-Unis fonctionnent encore aux normes Bâle I. Ce qui devrait se traduire par une marge de flexibilité augmentée pour les banques, et des rendements en principe supérieurs. Sur les trois banques françaises que nous couvrons, BNP Paribas offre à notre avis le meilleur potentiel d’appréciation. La bonne santé relative de BNP pendant la crise financière (une seule petite perte semestrielle à signaler en 2008) et son retour rapide à la rentabilité a permis à sa division banque d’investissement d’accéder à la cour des grandes, ce dont elle ne manque pas de tirer parti.

BNP Paribas maintient à l’heure actuelle un ratio Tier 1 Bâle II de 9 %. Les ajustements pondérés des risques « auront un impact significatif mais supportable » sur le ratio, mais la société estime qu’elle peut satisfaire aux critères de Bâle III sans émission de nouvelles actions. Globalement, il nous semble que son PDG, Baudoin Prot, a du mal à accepter le fait que sa banque doive satisfaire aux critères les plus stricts en termes de fonds propres, alors qu’elle a traversé la crise sans faire appel aux financements publics et n’a jamais touché aux subprimes. Par conséquent, il est selon nous possible que les ratios de fonds propres de la BNP finissent par flirter avec les directives minimales en la matière.

 Société Générale  estime que ses fonds propres Tier 1 de base devraient atteindre 7,5 % selon les définitions de Bâle III à la date de mise en place en 2013 sans levée de fonds supplémentaires sur le marché. Avec un ratio de Tier 1 de base actuel à plus de 8 %, cet objectif est à notre avis envisageable, mais le problème des actifs pondérés des risques ne facilitera pas les choses. Bâle III devrait entraîner une hausse les actifs pondérés des risques de la Société Générale d’environ un tiers. Par ailleurs, compte tenu de l’exposition de la banque aux obligations grecques, il est probable qu’elle soit obligée de lever des fonds supplémentaires si ce pays en proie aux troubles finit par faire défaut sur ses obligations.

 Crédit Agricole bénéficie d’un coussin de fonds propres appréciable, avec un ratio de fonds propres Tier 1 de base nettement supérieur à 9 % ; mais de toutes les banques françaises c’est aussi celle qui a la plus forte exposition à la Grèce. L’assise financière du Crédit Agricole est à notre avis suffisamment solide pour absorber d’autres pertes d’envergure sur prêts, mais le groupe risque d’être obligé de lever de nouveaux capitaux en cas de crise aiguë en Grèce. La nouvelle réglementation des fonds propres de Bâle avait menacé de ne pas reconnaître les participations minoritaires de Crédit Agricole dans ses filiales bancaires lors du calcul des fonds propres, ce qui se serait avéré désastreux pour le groupe, mais les révisions de la mi-2010 indiquent que des exceptions seront faites dans des cas comme celui-ci. Ceci dit, la formulation finale des règles et leur mise en œuvre ne sont pas encore connues et demeurent un facteur de risque pour le groupe.

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ENCADRE

Tier 1

Il s’agit de la partie jugée la plus solide dans le capital d’un établissement, son noyau dur : essentiellement les capitaux propres (capital social, réserves, intérêts minoritaires dans les filiales consolidées) dont est déduit l’autocontrôle. Ce ratio a été fixé à 4% par Bâle I.

Ratio de levier

Pour limiter les risques liés à l’endettement et à l’effet de levier, Bale III met en place un ratio de levier d’au minimum 3% qui mesure le rapport des fonds propres par rapport à aux actifs et au hors-bilan.

Cet article a été initialement publié dans le magazine Morningstar Professional de septembre 2011.

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A propos de l'auteur

Erin Davis  Erin Davis is a senior stock analyst for Morningstar.