Pour la plupart des investisseurs le concept de risque est assez clair : il est directement associé au risque de perte. Malheureusement, au-delà de cette simple définition, la notion de risque en matière d’investissement est beaucoup moins simple et comprend des aspects supplémentaires tels que l’intensité de la perte, sa durée, sa fréquence, l’intervalle de confiance qui permet d’en prendre la mesure... Et pourtant l’industrie se contente le plus souvent du seul indicateur de volatilité pour apprécier l’ensemble des nuances liées au risque. En outre, alors que la plupart des investisseurs s’accordent à considérer que le risque majeur est la perte, l’indicateur de volatilité qu’ils utilisent à peu près tous est moins un indicateur de perte qu’une mesure de l’incertitude…
L’objet de cet article est de proposer une grille de lecture du risque en identifiant les différentes notions avec lesquels il est souvent associé et en proposant des indicateurs adaptés pour chacune d’elles. Mais avant de débuter, il est utile de préciser quelques notions.
Vous avez dit volatilité ?
La volatilité est la mesure de combien la performance à court terme d’un actif dévie de sa moyenne de plus long terme. En clair, elle nous dit si une performance mensuelle moyenne de +1% s’est construite avec des mois à +5% et d’autres à -4% ou plutôt de mois à 1.1% et 0.9%. Les lois de la statistique nous permettent également de prévoir que dans 2/3 des cas, la performance de notre actif devrait se situer entre performance moyenne de l’actif et + ou - 1 fois la volatilité. Jusque là, il ne s’agit pas vraiment d’indications sur le risque de perte, mais plutôt une idée du degré de certitude que l’on peut avoir sur le fait d’obtenir à terme la performance attendue pour notre investissement. Par extension, on peut en déduire que dans 1/6ème des cas, la performance devrait se situer en deçà de performance moyenne – 1 volatilité, ce qui ressemble un peu à une mesure de perte.
La Value at Risk
C’est justement parce que la volatilité n’est pas un très bon indicateur du risque de perte que l’utilisation de la Value at Risk (VaR) s’est développé. Suivant que l’on est de nature plus ou moins optimiste, la VaR nous indique que dans x% des cas, la performance devrait se trouver au dessus d’un certain niveau, et que par extension dans 1-x% des cas, elle devrait se trouver en dessous. Concrètement une VaR 95% annuelle égale à -10% nous indique que dans 95% des cas (19 années sur 20) la performance ne devrait pas être inférieure à -10%, mais qu’elle devrait être pire dans 5% (1 année sur 20) des cas. Ca n’est pas autre chose que le 95ème percentile de la courbe de distribution des performances de l’actif.
J’en profite pour faire un petit aparté : la très grande majorité du temps, le meilleur référentiel pour calculer son risque est un long historique de performances passées. La calcul de la VaR se résumant donc à peu près à un calcul de décile. Vous entendrez souvent parler de l’utilisation de lois de distribution plus ou moins sophistiquées pour calculer ces indicateurs, il s’agit en général de lois qui cherchent à extrapoler les résultats en l’absence d’un historique suffisant. Sur ce point, toutes les lois ne se valent pas comme le montre Paul Kaplan dans les pages suivantes où il présente les dernières avancées en matière de recherche sur ce point.
Si la VaR est une avancée par rapport à la seule volatilité, elle ne donne toutefois pas réellement d’indication sur ce qui se passera une année sur 20.
Conditional VaR
La Conditional VaR décrit ce qui peut se passer lorsque l’on dépasse les 95% des cas et calcule la moyenne de la perte à laquelle on doit s’attendre au cours de cette année sur 20 (ou année sur 100 pour un VaR 99%...). Là aussi, si on dispose d’un historique de performance suffisamment long, on peut calculer la perte moyenne des périodes au-delà du 95éme percentile (pour une VaR 95%). La CVaR est de ce fait un véritable indicateur de perte extrême, on l’appelle parfois aussi Expected Loss (Perte Attendue).
La première question à laquelle on essaie souvent de répondre est : « Au pire, je peux perdre combien ?». Nous pensons qu’un bon point de départ pour répondre à cette question est d’observer la classe d’actifs sur laquelle nous sommes investis et de regarder dans l’histoire, aussi loin qu’il est possible de faire, ce qui s’est déjà passé. Un bon principe est déjà probablement de considérer que si le ‘pire’ s’est déjà produit, il peut se produire de nouveau et que par conséquent les pertes extrêmes passées sont au minimum un bon point de départ. C’est un élement important que beaucoup d’investisseurs oublient parfois en ne regardant que les indications qui sont données par le marché à l’instant présent. C’est d’autant plus important que pour certaines catégories d’investisseurs qui ont un ‘passif’, c’est-à-dire des engagements en face de leurs actifs, la répétition d’une perte extrême pourrait entrainer la faillite. C’est bien sûr le cas de beaucoup d’investisseurs institutionnels, mais c’est aussi le cas de tout investisseur qui utiliserait un levier excessif.
La Conditional VaR est l’indicateur naturel pour apprécier ce risque « structurel » d’un actif. Elle traduit en effet, au-delà du sentiment de marché prévalent, le risque lié à la structure même de la classe d’actifs. Par nature, les actions sont très risquées d’une part parce que leur évaluation n’est ni exacte ni objective et qu’elle fluctuera en fonction d‘une multitude de facteurs et surtout parce qu’intrinsèquement elles sont un peu la ‘dette’ la plus junior qui soit.
Le graphique 1 montre l’évolution de la CVaR 90% de l’indice Dow Jones depuis 1950 (en bleu), ainsi que toutes les périodes de 12 mois ayant connu une performance inférieure au niveau de la VaR 90% (en rouge). Nous utilisons ici la CVaR comme un indicateur structurel en utilisant un historique très long terme. Nous retenons en revanche une période d’observation plus courte (36 mois) pour la VaR, qui indique alors un risque plus conjoncturel.
On constate tout d’abord qu’au cours des 60 dernières années, il y a eu 6 périodes au où la performance de l’indice DJ a été inférieure à sa VaR 90%, ce qui correspond plutôt bien à ce que l’on devrait attendre (1 année sur 10 sur une période de 61 ans).
On observe également qu’à fin 2007, l’indicateur indiquait une perte possible de 29% en moyenne une année sur 10 et que de ce point de vue, la perte de 2008 (-33%) n’était pas totalement inattendue.
Enfin sur la foi de ce graphique, rappelons qu’une année sur 10 en moyenne ne veut pas dire tous les 10 ans…
Nous pensons qu’il est important pour un investisseur de calculer ce risque structurel de son portefeuille et de se poser la question de sa ‘survie’ dans l’hypothèse de sa survenance. Notre opinion est que le risque structurel doit être tel que l’investisseur puisse y ‘survivre’ et que si tel n’est pas le cas… il ne doit pas le prendre et doit changer son allocation stratégique.
Pour les investisseurs qui n’ont pas cette contrainte liée à des engagements précis, se pose la question de savoir comment construire son allocation et n’investir que sur la base du scénario le pire n’est peut-être pas optimal ou serait en tout cas très frustrant.
En effet, le risque mesuré sur des bases plus court-terme est très fluctuant et semble évoluer de manière cyclique avec une alternance de périodes de faible volatilité et de volatilités plus élevées.
On constate un certain nombre de points. D’une part le risque calculé sur une courte période de temps (risque conjoncturel) évolue de manière très importante dans le temps et il parait évoluer de manière cyclique. D’autre part , cette évolution importante a pour conséquence qu’à certaines périodes ce risque conjoncturel est sensiblement (au moins en apparence) inférieur au risque structurel. Lorsque l’écart est très important, le risque est que l’investisseur perde de vue le risque intrinsèque porté par son portefeuille et autorise une déformation parfois trop grande de son portefeuille avec une augmentation sensible du niveau de risque.
D’ailleurs, au vu du graphique précédent, on peut même se poser la question si cette approche plus court terme du risque (36 mois) est réellement utile, voire si elle n’est pas carrément mauvaise conseillère.
Pour ce faire, nous avons superposé la courbe de l’évolution de l’indice Dow Jones avec celle de la VaR 90% 36 mois déjà utilisée dans le graphique précédent depuis 1990.
D’évidence, l’analyse de la VaR montre qu’elle n’est pas systématiquement bonne conseillère en matière de risque à venir. Les deux premières périodes identifiées par deux cercles verts auraient été bonnes conseillères : en janvier 1995, le risque lié aux actions parait particulièrement faible (VaR 90% = 12%) et en effet, les marchés ont connu immédiatement après un bull market exceptionnel avec une hausse de 200% au cours des 5 années suivantes. A l’inverse en mars 2000, le risque est à son maximum avec une VaR = 24% et en effet les marchés ont corrigé de 30% au cours des 30 mois suivants.
A l’issue de l’éclatement de la bulle des technos, en décembre 2002, le marché semble considérer que le risque est très élevé (VaR = 25%), et pourtant nous sommes au devant d’un rebond très violent de plus de 30% au cours de l’année suivante.
Enfin, tout au long du Bull Market des années 2000, la volatilité (et donc la VaR) n’a cessé de diminuer pour atteindre un plus bas en 2007, juste avant une des crises les plus sévères que les marchés aient connue. Clairement en 2007, la lecture des indicateurs traditionnels de risque ne permettait pas d’apprécier la réalité du risque porté par les investisseurs. Les deux derniers points marquants de la courbe ont été des indicateurs particulièrement mauvais quant à la réalité du risque porté par l’investisseur.
On peut aussi considérer les choses différemment et se dire que l’on n’attend pas nécessairement d’un indicateur de risque qu’il puisse être utilisé comme un signal d’achat (fin 2002), mais qu’il devrait prévenir l’investisseur de l’existence de risques importants, ce qui n’a pas été le cas en 2007 (comme il ne l’avait pas fait auparavant en 1973 ou plus loin en 1966 et dans une certaine mesure juste avant la crise de 1929).
Que faire ? Si l’indicateur privilégié par la plupart des investisseurs (volatilité ou VaR 36 mois) peut à ce point être trompeur, à quoi peut-on se fier sinon au scénario du pire discuté plus haut ?
La Volatilité corrigée du risque de Retour à la Moyenne
Il existe peut-être un moyen de corriger la Volatilité (ou la VaR) par une analyse assez simple, intuitive et pleine de bon sens. En effet, indépendamment de ce que nous disent les marchés, la sagesse populaire sait bien que les arbres ne montent pas au ciel d’une part et que, d’autre part, les choses finissent souvent par s’arranger … En termes financiers, cela peut se traduire par : lorsque les marchés viennent de monter de 50%, la probabilité qu’ils perdent 50% est sans doute plus grande que lorsque ils viennent de perdre 50%. Attention, il ne s’agit probablement pas d’une vérité absolue sur la foi de laquelle il faut baisser totalement sa garde.
C’est d’ailleurs en s’appuyant sur un principe très proche que le régulateur a construit en partie les calculs de risque applicables aux portefeuilles assuranciels selon la réglementation Solvency II. Le principe a consisté à corriger la VaR associée aux actions de l’éventualité d’un retour à la moyenne des indices actions. Dans une limite de -10%, la VaR applicable aux actions sera : VaR +/- l’écart à la moyenne.
Lorsque les indices actions sont au dessus de leur moyenne de plus long terme, on considère que le risque de baisse est plus important et la VaR sera augmentée de cet écart. A l’inverse, lorsque le niveau des indices actions est inferieur à leur moyenne de plus long terme, on peut considérer que les actions ayant déjà baissé, le risque de baisse est diminué et la VaR sera diminuée de l’écart aux indices.
Dans les deux cas, l’ajustement de la VaR est limité à 10% en valeur absolue.
On constate que cette méthode permet de corriger la volatilité de cette notion de « retour possible à la moyenne ». On observe qu’en 2007, la volatilité aurait atteint un point haut, donnant une vision du risque très différente et sans doute beaucoup plus juste que celle donnée par les mesures traditionnelles. A l’inverse au plus fort de la crise, alors que les marchés étaient paralysés par la peur et par une perception du risque très élevée, la volatilité indiquait une diminution du niveau de risque de perte supplémentaire au fur et à mesure que les indices baissaient. Observons toutefois que cette diminution du risque serait intervenue très tôt au cours de la crise de 2008 (au minimum dès septembre 2008).
Cette approche de volatilité corrigée pour mieux exprimer le risque de baisse d’un actif nous semble une solution pertinente pour mieux apprécier le risque de perte. La seule volatilité est souvent insuffisante, voire trompeuse, et puisque elle restera probablement l’indicateur le plus utilisé, pourquoi ne pas l’améliorer ?